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La malnutrition au Mali : Le tueur silencieux qui explique notre sous-développement

mercredi 30 octobre 2019, par Assane Koné

La malnutrition considérée à juste titre comme un tueur silencieux, semble s’installer en demeure au Mali. En plus des conséquences sanitaires graves, elle pourrait être l’une des explications du sous-développement de ce pays sahélo-saharien exposé à une pluviométrie capricieuse.

A Yirakuy, un village de la Commune de Bénéna, dans le Cercle de Tominian situé dans la région de Ségou, l’état de santé de la petite MAYA qui n’avait à peine que 2 ans, devenait très inquiétant pour ses parents. Contrairement aux enfants de son âge, MAYA ne grandissait pas et perdait apparemment de poids. Pire, son ventre grossissait et les extrémités de ses pieds s’enflaient. Et, pour boucler ce descriptif qui alarmait de plus en plus ses parents, les cheveux de MAYA ont commencé à perdre leur teinte. Au même moment, elle faisait de façon permanente une diarrhée inhabituelle.

Sur les conseils d’un agent de développement qui travaille pour le compte d’une ONG qui intervient dans la protection de l’environnement, le Père de MAYA va l’amener au Centre de Santé communautaire de Bénéna. La consultation du médecin est sans appel : MAYA souffre d’une malnutrition aigüe sévère. Et, il attire l’attention du Père de l’enfant sur une prise en charge urgente dans une unité de réhabilitation nutritionnel (URENI) pour éviter la catastrophe. A cet effet, il conseille au Père de l’enfant de se rendre au Centre de santé de référence de Tominian.

Malheureusement, dans un Mali en crise depuis 2012, la petite MAYA n’est pas un cas isolé. Elle pourrait, même être considérée comme une chanceuse, parce que ayant bénéficié d’une consultation et d’une possibilité de prise en charge urgente. Au Mali, la situation nutritionnelle reste préoccupante. Le taux proportionnel de mortalité dû à la malnutrition au Mali est de 56%.

Se définissant globalement comme un mauvais état nutritionnel dû à une alimentation mal équilibrée ou mal adaptée à un individu ou à une population, la malnutrition devait être au centre de toutes les préoccupations au Mali. « 11,2% des enfants de 6 à 59 mois, soit 657 000 enfants, souffrent de malnutrition aiguë (dont 2,6% sous sa forme sévère) », indique les résultats de l’enquête nutritionnelle SMART du mois d’août 2018. Très précis, cette enquête annonce que les régions de Tombouctou, Ménaka, Gao, Taoudénit, Ségou et le district de Bamako sont en situation de crise nutritionnelle avec des prévalences de malnutrition aiguë globale supérieures à 10% (et/ou) des taux de malnutrition aiguë sévère supérieurs à 2%, seuil d’urgence selon les critères définis par l’OMS.

Pour sa part, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), dans son tableau de bord humanitaire au Mali du 19 octobre 2019, a attiré l’attention sur le fait que la victoire contre la malnutrition au Mali, est loin d’être gagnée. En effet, seulement 298 688 personnes ont été atteintes par les interventions, sur 899 143 personnes dans le besoin. Chose grave, selon OCHA, s’est seulement 28% des 56,4 millions de dollars nécessaire pour faire face à la situation qui a été mobilisé.

Et, si la malnutrition expliquait le sous-développement du pays

Pendant longtemps, l’on a pensé que la pauvreté était l’une des causes de la malnutrition. Mais, aujourd’hui de nombreux experts pensent le contraire. Au regard des conséquences graves de la malnutrition sur l’être humain, les experts sont arrivés à la conclusion qu’elle serait l’une des causes de la pauvreté.

Lors du 2e Forum national de la nutrition organisé du 23 au 25 juillet 2019, à Bamako par le Mouvement pour le renforcement de la nutrition (Scaling Up Nutrition) en partenariat avec le Gouvernement malien, l’on a posé de façon claire le rapport entre la malnutrition et le Produit intérieur brut (PIB).

Gerda Verburg, Coordinatrice mondiale du Mouvement pour le renforcement de la nutrition, a rappelé qu’ « au-delà des problèmes de santé causés à chaque enfant atteint de malnutrition, cette situation pèse lourd sur l’économie du pays ». Selon elle, le tribut payé par l’économie nationale à la malnutrition se fait ressentir sur le PIB. « Les coûts annuels associés à la malnutrition chronique sont estimés à 265,5 milliards de FCFA, soit 4,06 % du PIB », a-t-elle indiqué.

Et, aujourd’hui, pour mettre le Mali à l’abri du fait qu’un enfant sur quatre souffre de malnutrition chronique, et un enfant sur dix de malnutrition aiguë, la Coordinatrice mondiale du Mouvement pour le renforcement de la nutrition, a invité les autorités maliennes à faire de l’amélioration de la nutrition et la sécurité alimentaire une priorité politique et financière, pour la simple raison que c’est l’un des meilleurs investissements qu’un pays puisse faire. « Augmenter les investissements publics dans la nutrition, c’est accroître les capacités d’apprentissage scolaire des enfants et des adolescents, et augmenter leurs productivités pour plus de revenus potentiels une fois adultes. Cela augmente également les chances de sortir de la pauvreté », a-t-elle déclaré.

Une malnutrition accentuée par une insécurité alimentaire endémique

Du côté du Commissariat à la Sécurité alimentaire, l’on est convaincu de l’existence d’un rapport entre l’insécurité alimentaire et la malnutrition au Mali. « L’insécurité alimentaire est une cause intermédiaire majeur de la malnutrition. C’est une cause sous-jacente de la malnutrition au Mali », a indiqué Yaya Guindo, Chef de Département Prévention et Gestion des Crises Alimentaires, Nutritionnelles, Résiliences et Réhabilitations, au Commissariat à la Sécurité Alimentaire. Il a rappelé que de 2015 à 2019, sur la base des données du cadre Harmonisé, le Mali a enregistré, respectivement 3 122 256, 3 030 000, 3 833 778, 3 416 119 et 3 783 061 personnes « en besoin d’assistance et de renforcement et de résilience ».

Selon lui, sur la base de l’Enquête Agricole de Conjoncture, en 2018-2019, malgré une campagne agricole globalement bonne, avec une production prévisionnelle de 10 452 980 tonnes, supérieure de 34% par rapport à la moyenne des cinq dernières années et de 12% par rapport à campagne dernière, le Mali n’est pas à l’abri de l’insécurité alimentaire. Il dira que la campagne agricole 2018-2019, a été caractérisée par des poches de baisse significative de production à cause des conflits intercommunautaires et autres formes d’insécurité, qui ont contribué à limiter l’accès aux champs. A cela, il a ajouté l’effet néfaste des inondations liées aux fortes pluies et à la crue qui ont entrainé des pertes de superficies, un peu partout dans le pays, avec un accent particulier au Centre et au Nord.

Dans un tel contexte, après avoir admis la bonne qualité des productions animales, halieutiques et aquacoles et salué le fonctionnement normal des marchés, Yaya Guindo estimera que la situation nutritionnelle reste préoccupante dans le pays à cause des mauvaises pratiques alimentaires, de l’insécurité civile et de la prévalence des maladies liées aux mauvaises conditions d’hygiène. « La poursuite des incidents sécuritaires et des conflits communautaires continuent de perturber l’environnement socio-économique, l’accès humanitaire des ménages dans le Centre et le Nord du Pays », a-t-il indiqué. Avant d’ajouter que la dégradation des moyens d’existence et les déplacements inhabituels de population qui en découlent rehaussent la vulnérabilité des ménages.

Pour sa part, Dr Mohamed Ibrahim Mahmoud, spécialiste Nutrition/Genre, au Programme de soutien au dispositif national de sécurité alimentaire, une structure rattachée au Commissariat à la sécurité Alimentaire, a levé le voile sur les résultats de l’analyse de la situation de l’insécurité alimentaire du Cadre Harmonisé d’identification des zones à risque et des populations vulnérables au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Selon lui, à la date du 15 mars 2019, dans la situation courante (Mars-Mai), ce sont 323 682 personnes, soit 1,67% de la population analysée, qui ont été identifiées dans les phases crise et urgence (phase 3 et 4). Et, à la même date, il dira que ce sont 2 309 209 personnes, soit 11,89% de la population analysées du pays qui étaient sous pression (phase 2).

Et, pour ce qui concerne la situation projetée (juin à août 2019), il a indiqué que les estimations ont prévu que ce sont 548 644 personnes, soit 2,83% de la population qui allaient se trouver dans phases crise et urgence (phase 3 et 4). Et, à la même période, pour ce qui concerne la phase 2 (les populations sous pression), il a avancé le chiffre de 3 244 417 personnes, soit 16,71% de la population analysées du pays.

Plus de 3 millions de personnes en besoin d’assistance de renforcement et résilience

En conclusion, Dr Mohamed Ibrahim Mahmoud dira que la 16e Session ordinaire du Conseil National de Sécurité Alimentaire, tenue à Bamako, le 23 mai 2019, a admis 548 644 personnes en phases 3 à 5 (phase crise, urgence et famine) et 3 244 417 en phase 2 (sous pression). « Donc, en 2018-2019, c’est un total de 3 783 061 personnes qui ont besoin d’assistance et de renforcement et résilience », a-t-il déclaré.

Et, pour faire face à cette situation, il dira qu’en terme de principales interventions de réponses, la 16e session ordinaire du Conseil National de Sécurité Alimentaire a prévu pour l’année 2019, une série d’actions. Ce sont : le renforcement des capacités des acteurs ; le renforcement du système d’analyse et d’enquête de la sécurité alimentaire ; le suivi et évaluation des activités ; l’assistance alimentaire, l’intervention d’appui au renforcement de la résilience et des moyens d’existence des plus vulnérables ; l’intervention en matière de lutte contre la malnutrition ; et l’appui aux cantines scolaires.

« L’Etat a prévu une assistance alimentaire gratuite à 550 000 personnes, à travers le Commissariat à la Sécurité alimentaire. Et, 406 000 personnes parmi ces 550 000 personnes, recevront un appui complémentaire des partenaires techniques et financiers », a-t-il déclaré. Avant de préciser qu’au titre de l’intervention d’appui au renforcement de la résilience et des moyens d’existence qui concerne 3 783 061 personnes, l’état a prévu d’appuyer 368 500 personnes dans l’agriculture et le maraichage, 555 500 personnes dans l’élevage et la pêche, 200 000 personnes dans des activités de résilience et 57 420 personnes par des activités génératrices de ressources et le microcrédit.

Spécifiquement, pour ce qui concerne la lutte contre la malnutrition, il dira que pour 2019, des dispositions ont été prises pour appuyer les besoins nutritionnels de 500 343 personnes victimes de malnutrition aiguë modérée et 156 461 personnes atteintes de malnutrition aiguë sévère. Mieux, il dira que l’Etat a prévu de prendre des dispositions pour couvrir les besoins alimentaires de 1 267 545 personnes et prendre à charge 331 324 personnes à travers les cantines scolaires.

Mais, le succès de ce plan national de réponses 2019 reste tributaire de la mobilisation de 124 961 000 000 de FCFA, en raison de 29 056 000 000 de FCFA de l’Etat et des PTF, 67 060 000 000 FCFA du Cluster Sécurité Alimentaire et 28 845 000 000 FCFA du Cluster Nutrition. Et, il y a de fortes raisons de craindre que ces ressources ne soient pas mobilisées. Le 14 octobre 2019, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) attirait l’attention sur le fait que seulement 37% de 127,8 millions de dollars US nécessaires pour faire face à l’insécurité alimentaire au Mali en 2019, a été mobilisé. Du côté de la lutte contre la malnutrition, la situation n’est pas aussi rose. « Seulement 28% du besoin de 56,4 millions de dollars US a été couvert pour faire face à la malnutrition », a indiqué OCHA.

Assane Koné


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