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Théâtre/ « Les Pêcheuses de lune » : Mama Koné met à nu les réalités de l’immigration féminine en Europe

samedi 29 décembre 2018, par Assane Koné

Imaginez une personne assise au bord d’un fleuve, d’une rivière ou d’une marre, avec une canne à pêche, mais surtout avec la ferme volonté de pêcher une lune. Dans ce cas, elle pêche la lune ou le reflet de la lune ? Cette image n’est-t-elle pas celle que nous renvoie tous nos compatriotes africains, qui au prix de mille sacrifices, contre vents et marrées, se laissent attirer par les chants des alouettes ? Prétextant d’une misère mortelle sur le continent, ils prennent souvent la grave et risquée décision et surtout pour la plupart, par effraction, d’aller s’installer en Europe : l’Eldorado. « Les Pêcheuses de lune » de Mama Koné, présentée en grande première le 14 décembre 2018, à l’Institut français du Mali, sans ambages et sans complaisance pose avec des mots crus la problématique de la migration féminine des sub-sahariennes en Europe.

Il fut une période, où aller à l’immigration était la chasse gardée des hommes sur le continent. Mais, depuis quelques années. Question de mode ou conjoncture internationale oblige. La gente féminine africaine a décidé que « le genre » passe par là aussi. L’immigration s’est féminisée. Et, cela n’est pas sans conséquences. Mais, combien sont les familles africaines qui se font une idée des drames et des nombreuses difficultés vécues par leurs filles, pour leur permettre d’avoir un bol de riz sur la table à midi ? Combien sont-t-elles qui savent que le loyer mensuel, la facture d’électricité, les frais d’ordonnance, payés en Afrique, avec l’argent de leurs filles en Europe, a la valeur du sang qui coule dans leurs veines ?

Dans sa nouvelle pièce de théâtre intitulée « Les pêcheuses de lune », la metteuse en scène Mama Koné et non moins présidente de l’Association Culturelle « Côté Cour », a décidé de lever le voile sur cette problématique qui prend par moment l’allure d’un fléau.

Réadaptation d’un texte de Michel Beretti, « Les pêcheuses de lune » est le fruit d’une résidence de création d’un mois à Ségou, avec le soutien du Centre Korè.

Dans une maîtrise parfaite du texte, qu’elles façonnent à leur guise, en faisant souvent appel à leur langue vernaculaire (Bamanan, moré, le bété, le sousou et le wolof), pendant une heure de temps, quatre comédiennes pour lesquelles les planches n’ont plus de secret, tiennent le public en halène. Et, mieux, dans une fusion totale avec leur personnage, elles transportent les spectateurs dans une réalité, pas loin de leur vécue quotidien.

La guinéenne Thérèse Guillaume N’diaye, la burkinabé Zida Rokia, la malienne Maïmouna Diarra et l’ivoirienne Zako Olili, respectivement dans les rôles de Awa, Adjara, Tanti Fatou et Patience, dans un lyrisme qui ne caractérise que les belles pièces de théâtre, nous plongent dans l’univers des femmes ou filles migrantes en France, ou tout simplement en Europe.

Chacune de nos quatre bonnes dames a sa petite histoire sur comment elle est arrivée en Europe, mais le pourquoi reste le point commun : avoir une meilleure vie et beaucoup d’argent. Et, toutes comme des lucioles, elles se sont fait bruler par la flamme de la lampe qui les attirait.

Dans le jargon militaire, Tanti Fatou pourrait être considérée comme une blessée de guerre. Tant la vie ne lui a pas fait de cadeau du côté relations amoureuses. Présentée comme une « collectionneuse » d’aventures amoureuses aussi décevantes les unes que les autres, Tanti Fatou symbolise cette génération de femmes africaines arrivées en Europe par le canal d’un mari lui-même immigré.

Solidarité africaine oblige, malgré ses tonnes de difficultés, et, sous le coup d’une menace d’expulsion de l’appartement qu’elle occupe dans une banlieue européenne, pour non payement de loyer, elle se sent obliger de recevoir, tous les soirs ou le temps d’un week-end, ses sœurs africaines venues « se chercher » en Europe.

« Sueurs de front contre sueurs de fesse »

Toute la trame de la pièce a été construite autour d’une de ces rencontres occasionnelles, où l’alcool aidant, les femmes passent à table et c’est le grand déballage. Loin de ce qu’elles imaginaient avant de mettre à exécution leur projet migratoire, le soit disant « paradis » qu’est l’Europe, est décrit comme un enfer. En tout cas pour elles.

Sans papiers et souvent même diplômées, elles n’ont que le boulot de techniciennes de surface pour s’assurer un couvert au quotidien et espérer envoyer un peu d’argent au pays. Et, comme en enfer, il y a ceux ou celles qui choisissent des solutions de facilité. Adjara se présente comme avocate, mais en réalité elle exerce à Paris le plus vieux métier du monde : La prostitution. D’où le concept sueurs de front contre sueurs de fesse.

Très critique, cette pièce règle le compte à toutes ces personnes d’un certain âge avancé qui s’offrent le privilège de ces jeunes africaines désemparées et désorientées, comme happées par un piège. L’argent devenu le nouveau Dieu du monde, est à acquérir par tous les moyens, même par la vente de drogue.

Comme pour dire à tous ces candidats et candidates à l’immigration qu’après le calvaire des marchands de voyages clandestins et souvent mortels, l’Europe ne leur offrira qu’un nouvel enfer. Pas de papiers, pas de boulot. Condamnées à vivre dans la clandestinité, elles ne pourront devenir que des pêcheuses de lunes pour se donner bonne conscience. Et, comme personne n’a le privilège de pêcher une lune, Awa le comprendra vite. Elle va refuser d’être prisonnière du reflet de la lune et se décider à revenir sur ses pas, dans son pays, pendant qu’il est encore temps. Avant que le piège ne referme définitivement sur elle, comme cela a été le cas de Tanti Fatou.

Mais, l’annonce de cette décision de retour au bercail va ouvrir le grand débat sur la responsabilité de la patrie dans leur exil. Mais, qu’à cela ne tienne, Awa suffisamment formée dans le centre où elle s’occupait de personnes âgées, pense pouvoir mettre ses connaissances à la disposition de son pays. Et, ainsi, elle pourra valablement contribuer au développement de cette autre partie du monde. « Au-delà du fait qu’il y a certaines contrées où il n’y a plus de bras valides pour enterrer les mort », Awa rappellera à qui veut l’entendre que nos pays sont riches et qu’il nous suffit de retrousser nos manches pour voir les prairies reverdir.

Assane Koné


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