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Malnutrition au Mali : Quand le manque d’eau potable est la cause de 40% de décès des enfants malnutris

mercredi 15 novembre 2023, par Assane Koné

Au Mali, la malnutrition reste un problème de santé publique. Elle constitue un lourd fardeau compromettant le développement économique et social de l’individu, de la famille, de la communauté et de l’État. Le Mali perd 265 milliards de FCFA par an à cause de la malnutrition. 40% de décès des enfants malnutris est lié au manque d’eau potable. Il est aujourd’hui admis que l’eau, la sécurité alimentaire et la nutrition sont intrinsèquement liées.

« Les personnes en besoin d’action humanitaire sont estimées à 7,5 millions (soit une personne sur trois). Ce chiffre présente un risque important de dégradation, dû aux problèmes d’accès réduit à l’eau potable, aux services d’hygiène et d’assainissement dans un contexte de crise multiforme dans les zones de conflits surtout au centre et au nord ». C’est en ces termes que le plan de réponse humanitaire 2022 du Mali, pose l’importance de l’accès à l’eau potable, aux services d’hygiène et d’assainissement.

Pour ce qui concerne le Mali, le Rapport 2021 de la Direction Nationale de l’Hydraulique (DNH) indique que le taux d’accès au niveau national est de 70,9%, soit 81,1% au niveau urbain et 66,8% au niveau rural. Cependant, il est important de noter le vieillissement d’une partie du parc hydraulique et la croissance de la demande qui influe négativement sur les taux.

Parallèlement à cette problématique d’accès à l’eau potable qui mobilise des énergies considérables au Mali, le plan d’action multisectoriel de nutrition 2021-2025, sur la base des résultats des enquêtes SMART de 2014, 2016 et 2019, est formel : « même si la prévalence de la malnutrition aigüe globale est en réduction, les prévalences de la malnutrition aigüe sévère restent supérieures ou égales au seuil d’urgence de 2% selon la classification de l’OMS ». Comme pour dire qu’ au Mali, la situation nutritionnelle est globalement préoccupante. « Les taux de malnutrition chronique (retard de croissance) et de malnutrition aiguë (MAG) chez les enfants restent au-delà des seuils considérés comme acceptables par l’OMS », nous disent les spécialistes de la question.

« Une eau qui n’est pas potable, ne devrait pas être destinée à la consommation... »

Le manque d’eau potable dans de nombreuses contrées du pays, n’a-t-il pas une influence sur la malnutrition au Mali ? Sur la question, Dr Issouf Troré, chargé du volet santé, nutrition, responsable plaidoyer de l’ONG CSPEDA et membre du réseau des organisations de la société pour le renforcement de la nutrition au Mali (SUN OSC), a sa conviction toute faite. « La malnutrition est une maladie qui est due à un déséquilibre d’apport alimentaire en terme d’excès ou d’insuffisance. On peut classer les aliments selon leur composition. Dans cette classification l’eau potable qui ne contient aucun agent pathogène pour l’organisme, est considérée comme un aliment et de nombreuses personnes ne le savent pas », a-t-il déclaré. Avant d’ajouter qu’ au-delà de ça, l’organisation a besoin d’eau pour faire face à un certain nombre de besoins. « Elle va jouer un rôle de régulation. Elle représente à peu près trois quarts de notre poids corporelle. L’homme est constitué essentiellement d’eau », a-t-il révélé.

Dr Issouf Traoré est formel : « apporter à l’organisme une eau insuffisante, une eau qui n’est pas saines, est l’une des premières causes de la déshydratation qu’on remarque beaucoup chez les enfants ». Selon lui, lorsque les pertes hydriques de l’organisme sont supérieures à 20%, cela peut entrainer la mort. « Dans 40% de décès chez les enfants qui souffrent de malnutrition, les problèmes liés à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement qui sont incontournables dans la nutrition, sont la cause », a-t-il déclaré.

Cependant, il a tenu à attirer l’attention sur d’autres causes de la malnutrition. Selon lui, la carence en micronutriments, qui sont des aliments qu’on apporte en petite quantité à l’organisme et qui sont extrêmement importants dans la vie de l’homme, est très dangereuse. A titre d’exemple, il a cité le fer. Il a aussi soutenu que quelqu’un qui a une alimentation très pauvre en vitamine A, sera exposé aux risques de malnutrition. Il a aussi mis la lumière sur la sur-nutrition, que beaucoup de gens ne comprennent pas. « Si la quantité d’aliments qu’on apporte à l’organisme est dépassée on serait dans un excès alimentaire et parmi ses conséquences, on a des problèmes cardiaques, l’obésité qui, malheureusement, va entrainer des maladies chroniques, comme hypertension artérielle, le diabète... », a-t-il indiqué.

En conclusion Dr Issouf Traoré a lancé un appel pour prendre le problème de la malnutrition à bras le corps. Selon lui, il faut l’implication de tous les secteurs au niveau national et au niveau communautaires, afin que chacun joue pleinement son rôle pour débarrasser le Mali de ce fléau de malnutrition. « Une eau qui n’est pas potable, ne devrait pas être destinée à la consommation. L’eau que nous buvons doit être drainée sinon ça peut entraîner un certain nombre de maladies », a-t-il fait savoir.

« L’accès à l’eau potable..., un grand déterminant de l’inversion du poids de la malnutrition... »

En sa qualité de chef de la cellule de la coordination de la nutrition, Dr Djibril Bagayogo est convaincu que l’accès à l’eau potable est un grand déterminant de l’inversion du poids de la malnutrition sur les couches les plus fragiles dans notre pays. Selon lui, l’accès à l’eau et la gestion sécurisée de l’eau sont des éléments porteurs pour éviter toutes les maladies liées à la Diarrhée, l’une des caractéristiques de la malnutrition chronique. « Un enfant qui nait dans un milieu insalubre, sans eau potable, a plus de risque de faire la malnutrition », a-t-il déclaré. Avant d’ajouter que l’eau a le rôle d’un aliment, et l’homme est constitué à 90% d’eau. « L’eau de bonne qualité est le véhicule de la plus part des nutriments. Mais l’eau de mauvaise qualité est aussi source de maladie », a-t-il indiqué.

Dr Djibril Bagayogo, chef de la cellule de la coordination de la nutrition, a ensuite estimé que la malnutrition est un problème multifactoriel. Selon lui, 90% des maliens ont leurs nourritures liées à leur portefeuille. Et, sur la base de ce constat, il dire que : « la principale cause de la malnutrition au Mali, c’est la pauvreté ». Il explique : « quand on est pauvre, on n’a pas d’eau. On vit dans un milieu insalubre. Et, quand un enfant naît dans cette condition, il sera assujetti à de nombreuses maladies ». Pour lui, ces deux facteurs conjugués font que cet enfant n’aura pas de nutriments et du coup, il a de forte chance de tomber malade et de voir sa croissance s’arrêtée.

« Le Mali perd 265 milliards de FCFA par an à cause de la malnutrition »

Sur la base de l’étude du coût de la faim, Dr Bagayogo dira que « le Mali perd 265 milliards de FCFA par an à cause de la malnutrition ». Plus grave, il a estimé que si le Mali n’arrive pas à renverser la tendance et continue avec ce taux, il coure le risque de ne plus avoir des hommes suffisamment robustes. Il y a de quoi à avoir peur. A ce coût de la faim déjà très important, Dr Bagayogo, sur la base du dernier SMART, a rappelé le nombre de personnes touchées par la malnutrition. Selon lui, le dernier SMART, révèle que le Mali enregistre 21,9% de retard de croissance, plus de 10% de malnutrition aiguë, des enfants à 8/10 et plus de femmes 6/10 qui sont anémiés. « A côté de tous ces déficits, la malnutrition par excès commence à pointer le nez », a-t-il indiqué. Avant de soutenir qu’à 80%, notre problème de malnutrition est dû au manque d’eau.

En guise de stratégie de solution, le Chef de la cellule de la coordination de la nutrition propose que les collectivités changent le niveau de conscience du développement des communes, en faisant de la nutrition la porte d’entrée de leur développement. De ce fait, il a attiré l’attention des chefs de familles prendre conscience que le moment est venu de prendre leur responsabilité. Selon lui, au lieu d’organiser les grands évènements lors des mariages et des baptêmes, de faire la nutrition de qualité leur plus grande priorité. En ce qui concerne l’Etat, il a proposé de faire en sorte que toutes les politiques et les initiatives de développement puissent prendre la nutrition comme élément catalytique du développement et avec un focus sur l’accès à l’eau potable, l’hygiène et l’assainissement, en mettant un socle de protection sociale. « La malnutrition est la source de plus de 45% des maladies génératrices des maladies chroniques telles la diarrhée, le diabète etc. La malnutrition est un poids énorme pour nos pays », a-t-il estimé.

« L’eau est l’alpha et l’oméga de la nutrition du point de vue de la santé »

Pour sa part, Boureima Tabalaba, directeur exécutif de la CN-CIEPA WASH, dit que la malnutrition, c’est une carence de l’eau potable. Selon lui, elle peut avoir plusieurs formes : la malnutrition aiguë, chronique ou sévère. Mais, il est convaincu qu’ on ne peut pas parler de la nutrition sans les produits qui la compose : l’eau, l’hygiène et l’assainissement. « Ils sont fondamentaux dans le cadre du maintien de la nutrition. L’eau est l’alpha et l’oméga de la nutrition du point de vue de la santé », a-t-il déclaré. Avant d’estimer que le manque d’eau dans beaucoup de zones est un facteur qui a grave la malnutrition. Il a estimé que le Mali devra faire assez d’effort pour pouvoir parvenir à un accès universel d’ici 2030.

C’est pratiquement le même son de cloche du côté de la Direction générale de l’hydraulique. Mohamed Lamine Camara, de la direction générale de l’hydraulique, est formel : « la malnutrition est en rapport avec l’eau potable qu’on peut consommer, qui est de bonne qualité et qui n’a pas de danger sur la santé humaine ». Selon lui, l’accent doit être mis sur la bonne gestion de l’eau et la nourriture qu’on consomme. « Car plus de 90% des maladies sont liées à l’eau insalubre », a-t-il déclaré.

Pour régler le problème de manque d’eau potable, il a proposé d’assurer le besoin de la population en eau. « L’Etat, avec son programme d’urgence, est en train de faire des forages pour faire face à ce problème », a-t-il indiqué. En tant que service technique, il dira que sa structure élabore des projets pour l’approvisionnement en eau potable. « La réalisation de ces projets selon lui, ce fait avec l’accompagnement financier des partenaires », a-t-il indiqué. Avant d’ajouter qu’en termes de couverture d’accès en eau potable, il dira que le Mali est à 63% pour l’année 2023. Par contre, il a regretté le fait que 37% de la population malienne n’ait pas accès à l’eau potable. « L’accès à l’eau seine ne peut être obtenu qu’à travers des infrastructures hydrauliques », dit-il. De ce fait, il préconise de multiplier les actions de réalisation de ces infrastructures surtout dans les localités déficitaires, de sensibiliser la population dans la bonne gestion d’eau, sur les mesures d’hygiène, à défaut, cela peuvent être des facteurs d’autres problèmes sanitaires.

« La malnutrition et le WASH (eau, assainissement et hygiène) sont étroitement liés »

Pour Dr Rokia Coulibaly, chargée de nutrition au commissariat à la sécurité alimentaire que nous avons abordé, estime que, la malnutrition et le WASH (eau, assainissement et hygiène) sont étroitement liés. Les trois principales causes sous-jacentes de la sous-nutrition sont un apport alimentaire inapproprié ou insuffisant, des mauvaises pratiques de soins et les maladies. « Les pathologies liées à des mauvaises conditions WASH conduisent à la malnutrition (chronique ou aigüe) qui à son tour crée une hyper-sensibilité aux infections », a-t-elle déclaré. Avant d’ajouter que selon l’UNICEF, l’eau insalubre et un mauvais assainissement peuvent entraîner la malnutrition ou l’aggraver. « Les enfants souffrant de malnutrition sont également plus vulnérables aux maladies transmises par l’eau, comme le choléra », a-t-elle indiqué. Elle a estimé que l’accès insuffisant à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement est responsable d’environ 50% de la malnutrition dans le monde. « Les changements climatiques et les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les sécheresses et les inondations, menacent à la fois la qualité et la quantité de l’eau dont dépendent des communautés entières. Dans leur lutte pour accéder à des sources d’eau peu abondante ou insalubre, les familles vivant dans des régions soumises à un très fort stress hydrique sont contraintes de quitter leur foyer, ce qui les rend plus vulnérables aux maladies et met en péril leur sécurité, a-t-elle estimé.

Elle dira que la malnutrition est provoquée par une alimentation qui ne correspond pas aux besoins de l’organisme. Selon elle, l’eau est le principal constituant du corps humain et assure un rôle vital pour l’organisme. « Elle est répartie dans l’ensemble des organes, à l’extérieur et à l’intérieur des cellules. L’équilibre hydrique du corps est étroitement régulé pour assurer de bonnes conditions physiologiques à l’organisme, et il est important pour maintenir cet équilibre d’avoir un apport en eau par l’alimentation suffisant, afin de compenser les pertes d’eau quotidiennes », a-t-elle précisé.
Dr Rokia Coulibaly est convaincue que la malnutrition est une maladie qui a de graves conséquences sur la santé, notamment des carences, entraînant parfois des pathologies potentiellement mortelles. Elle dira que chez l’enfant, elle peut se manifester par un retard de croissance, des troubles de l’apprentissage (problèmes de concentration), un affaiblissement du système immunitaire et par conséquent une moins bonne résistance aux infections bactériennes et virales. Pour ce qui concerne l’adulte, elle a indiqué la malnutrition se caractérise essentiellement par une profonde fatigue, un manque de motivation, une prise de poids ou à l’inverse un amaigrissement, un gain de masse grasse et une perte de masse musculaire, une irritabilité voire une dépression. 

Dans tous les cas, Dr Rokia Coulibaly est convaincue que le manque d’eau potable peut avoir des conséquences graves sur la santé humaine. « Sans eau, les êtres humains ne peuvent survivre plus de trois jours », a-t-elle indiqué. Avant d’ajouter que la déshydratation peut également causer des problèmes de santé tels que : des maux de tête, des étourdissements, des nausées, des vomissements, des crampes musculaires, etc. « Dans les pays touchés par des conflits armés, des violences, des catastrophes ou des crises prolongées, les populations ont plus de huit fois plus de risques de manquer d’eau potable, près de quatre fois plus de risques d’être privées d’un assainissement de base et sont trois fois plus susceptibles de pratiquer la défécation à l’air libre", a-t-elle indiqué. Pour finir, elle a suggéré de collaborer pour que les programmes WASH soient conçus pour inclure les caractéristiques, impactant la nutrition, nécessaires pour contribuer efficacement à la réalisation de meilleurs résultats nutritionnels.

Bintou COULIBALY


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