Actualités > Festival international de la liberté d’expression et de la presse : Les journalistes dénoncent la remise en cause (…)

Festival international de la liberté d’expression et de la presse : Les journalistes dénoncent la remise en cause des acquis

mercredi 25 octobre 2023, par Assane Koné

« Le Filep tient aujourd’hui sa 10e édition dans un nouveau contexte tout aussi difficile, fait de remise en cause des acquis engrangés de hautes luttes par nos devanciers, le tout sur fond de crises multiformes », a dénoncé Inoussa Ouédraogo, Président du Comité d’Organisation de la 10e édition du Festival international de la liberté d’expression et de la presse (FILEP).

Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, a abrité du 14 au 22 octobre 2023, la 10e édition du Festival International de la liberté d’expression et de presse. L’édition placée sous le thème « Médias, Conflits et Cohésion sociale en Afrique », a enregistré la participation de 200 personnes, venues de 33 pays, d’Afrique et du monde. Présidée par le Président de l’Assemblée législative de Transition du Burkina Faso, la cérémonie d’ouverture a enregistré une intervention bien musclée de Inoussa Ouédraogo, Président du Comté d’organisation.

Après avoir rappelé qu’ « Il y a un quart de siècle, au lendemain de l’assassinat horrible de notre confrère Norbert Zongo, Directeur de Publication de L’Indépendant, des femmes et des hommes de médias, des défenseurs des droits de l’Homme sont venus de divers horizons du continent pour créer à Ouagadougou ce cadre qui deviendra un rendez-vous incontournable de la liberté d’expression et de la presse », Inoussa Ouédraogo a soutenu que le FILEP est « né dans un contexte difficile et de balbutiement de la démocratie. Malheureusement, il a estimé que la 10e édition du FILEP se tient dans un nouveau contexte tout aussi difficile, fait de remise en cause des acquis engrangés de hautes luttes par nos devanciers, le tout sur fond de crises multiformes. « En ce moment précis, j’ai une pensée profonde et pieuse pour les nombreuses victimes civiles et militaires du terrorisme au Burkina Faso, au Sahel, en Afrique et à travers le monde. A cette tribune, comment ne pas se souvenir de tous ces journalistes disparus, souvent violemment assassinés par des fossoyeurs de la liberté, qui semblent toujours ne jamais se rassasier du sang de leurs victimes », a-t-il indiqué.

La lutte contre le terrorisme : Les journalistes sur la ligne de front

« La lutte contre le terrorisme requiert l’engagement de tous », a-t-il déclaré. Avant de soutenir que « les journalistes sont sur la ligne de front en menant le combat de l’information juste et véridicité, le combat de la sensibilisation et de la défense de l’intérêt public ». Il a estimé que « l’accomplissement de cette mission première et essentielle ne nous dédouane pas malheureusement d’efforts supplémentaires au regard des défis énormes ». Selon lui, la crise humanitaire nous impose un devoir de présence, un devoir de solidarité.

Il a salué les festivaliers venus des quatre coins d’Afrique mais aussi d’Europe, d’Amérique et d’Australie. Ce sont : le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Gabon, la Zambie, le Mali, le Sénégal, le Niger, le Nigéria, le Togo, l’Afrique du Sud, la Tunisie, le Maroc, l’Algérie, le Burundi, l’Ouganda, le Zimbabwe, le Rwanda, La Guinée, le Libéria, la Gambie, Le Cap-Vert, La Guinée Bissau, le Cameroun, le Tchad, le Ghana, la Namibie, l’Allemagne, le Danemark, la République démocratique du Congo, l’Australie, les Etats-Unis, la France, la Suisse le Botswana, et bien sûr les confrères venus des différentes régions du Burkina Faso… « Le FILEP, c’est en gros, plus de 200 festivaliers venus de 33 pays », a-t-il déclaré.

Un environnement sociopolitique et sécuritaire difficile marqué par des restrictions multiformes

« Les médias et les journalistes dans des pays comme le Burkina Faso, le Mali, le Tchad, le Niger, le Cameroun,…., exercent dans un environnement sociopolitique et sécuritaire difficile marqué par des restrictions multiformes (intimidations, menaces de mort, restrictions et violation des droits d’accès à l’information, interdiction de diffuser, fermeture de médias, etc.) », a-t-il indiqué.

Pour être précis, il dira qu’ « au Burkina Faso, des gouvernants, des activistes, des leaders d’opinions et des citoyens, ont parfois été accusés d’être au service des groupes armés terroristes ou de ne pas soutenir le régime en place ». Pire, il dira que « la haine contre les médias et les journalistes est telle que certains vont jusqu’à appeler à les guillotiner ». Il a regretté le fait que « des théories conspirationnistes salissant la réputation de journalistes et de défenseurs des droits humains sont distillées à longueur de journée ». Il a dénoncé le fait que l’on distribue des bons points aux journalistes dits « patriotes » et des mauvais points aux journalistes dits « apatrides ». « Si la critique contre les journalistes est un droit pour le public et un indicateur pour les journalistes, il en est autrement de la haine contre les journalistes et les médias qui doit être combattu par tous les démocrates et par les autorités de nos pays », a-t-il estimé.

Difficile pratique du métier de journaliste

« Au Burkina Faso, au Mali comme au Niger, l’on assiste à la suspension de médias étrangers et/ou nationaux ainsi qu’à l’expulsion de correspondants de presse étrangère par les gouvernements alors même que cette mission de régulation du contenu des médias ne relève pas de leurs prérogatives », a-t-il dénoncé. Il a estimé qu’ « ils le font au mépris des instances de régulation pourtant reconnues comme des institutions administratives indépendantes et très souvent en violation flagrante de nos textes fondamentaux ».

A côté de ces pays sahéliens qui connaissent une crise sécuritaire profonde, il a annoncé que des pays de la côte à savoir le Bénin, le Togo et le Ghana, toujours en Afrique de l’Ouest font de plus en plus l’expérience du terrorisme. « Cela n’augure rien de bon pour les médias, les journalistes et nos laborieuses populations », a-t-il estimé.

Il a ensuite levé le voile sur les pays, où des journalistes ont été lâchement assassinés. Selon lui, au Tchad, pays d’Afrique centrale en proie à des crises politique et sécuritaire, deux journalistes ont été assassinés en 2022. Avant d’ajouter que le Cameroun, un autre pays de l’Afrique centrale, rien que dans le premier semestre de 2023, a enregistré trois assassinats de journalistes : Jean Jacques Ola Bede en février 2023 et Anye Nde Nsoh en mai 2023. « Avant eux, l’année avait mal commencé avec l’assassinat en janvier 2023 Martinez Zogo de son vrai nom Arsène Salomon Mbani Zogo, Un assassinat d’une extrême horreur qui choqué le monde et rappelé au Burkinabè le quadruple assassinat du 13 décembre 1998 dans lequel notre confrère Norbert Zongo a été tué puis brulé jusqu’aux cendres par de sinistres personnes », a-t-il dénoncé avec force.

Il a estimé que « ce qui est encore révoltant c’est l’impunité qui entoure les crimes contre les journalistes ». Selon lui, malgré l’institution du 2 Novembre comme Journée internationale contre les crimes contre les journalistes, force est de constater que les bourreaux jouissent d’une assurance tout risques dans les cas de crimes contre les journalistes. « Ceux qui ont un peu de chance, s’ils ne sont pas assassinés, on les retrouve dans des geôles », a-t-il regretté. Selon lui, depuis 2020, quatre journalistes sont en détention au Cameroun. Il a aussi rappelé le cas plus récent de Samira Sabou, journaliste et web activiste, au Niger, qui retient l’attention des défenseurs de la liberté d’expression après son embastillement par les autorités militaires de transition. « Partout où des confrères et des consœurs sont en détention pour leurs opinions, nous élevons une vive protestation depuis cette tribune avec notre modeste voix peut être inaudible mais fort retentissante par votre présence en nombre et en qualité », a-t-il déclaré.


Régression dangereuse de la liberté de la presse même dans des pays relativement stables

Selon Inoussa Ouédraogo, « à côté de ces pays en crise évoqués ci haut, on observe une régression dangereuse de la liberté de la presse même dans des pays relativement stables ». Selon lui, le Sénégal a dégringolé de 31 places dans le classement 2023 de Reporters sans frontières. « Il occupe, en 2023, le 104e rang alors qu’en 2022, il était classé 73e », a-t-il regretté.

FILEP 10 : Rapports entre les médias et les conflits en Afrique subsaharienne

Il a rappelé que « ces dernières années, les crises politiques et sécuritaires se sont multipliées en Afrique ». Il a indiqué que la République Démocratique du Congo, le Nigéria (avec Boko Haram), le Mozambique (avec l’Etat islamique), l’Ethiopie avec la Rébellion du Tigré, le Soudan en situation de guerre entre factions de l’armée se disputant le pouvoir, la Libye toujours divisé entre deux gouvernements, sont autant de foyers de tensions et de conflits affectant les médias et les journalistes du continent. « L’édition 2023 du Festival international de la liberté d’expression et de presse (FILEP) voudrait se pencher sur cette question lancinante des rapports entre les médias et les conflits en Afrique subsaharienne qui sont malheureusement des terreaux fertiles pour les violations et atteintes aux droits humains », a-t-il indiqué.

Selon lui, depuis le lancement du Festival en 2000, de nombreuses thématiques en lien avec les médias et les journalistes ont été questionnées et ont permis de mettre en lumière des problèmes majeurs qui minent le développement des médias du continent. « Ce festival est l’occasion de partager et de capitaliser des expériences, de prendre des résolutions et de les soutenir, de dénoncer les violations des droits des journalistes et d’interpeller les décideurs et les populations sur la nécessité de défendre la liberté d’expression et de la presse consacrée par nos textes fondamentaux que ce soit au niveau national et international », a-t-il déclaré. Avant d’ajouter que dans un contexte où les crises se multiplient sur le continent, tendant à fragiliser les fondements du vivre ensemble, comme on le voit avec l’extrémisme violent au Burkina Faso, au Mali, au Niger, au Nigéria, au Cameroun, etc., il est opportun de mettre en perspective le rôle des médias dans la construction, le maintien, la consolidation de la cohésion sociale et de la paix. « D’où le présent thème ‘’Médias, conflits et cohésion sociale en Afrique’’ », a-t-il déclaré.

Mais, il a ajouté que cette dixième édition du Filep a également lieu à un moment où le Centre national de presse Norbert Zongo célèbre 25 années d’existence. « C’est le lieu, de rendre un vibrant hommage à tous nos devanciers, qui ont travaillé à asseoir cette maison qui depuis 25 ans, travaille inlassablement au renforcement de la démocratie et à l’élargissement des espaces de liberté au Burkina Faso et en Afrique. Merci à feu Norbert Zongo, à feu Justin Coulibaly, à feu Tiergou Pierre Dabiré. Merci à nos doyens Jean Claude Méda, Cheriff Moumina Sy qui sont toujours à nos côtés et qui nous gratifient de leurs sages conseils, de leurs expériences », a-t-il indiqué. Avant d’ajouter que le Centre de presse Norbert se nourrit aussi de la confraternité des autres maisons de la presse du continent et particulièrement des pays de la sous-région, Mali, Niger, Côte d’Ivoire, Bénin, Togo, Sénégal, du Rwanda, du Tchad.

Permettre que le Président du Faso nomme directement le Président du Conseil supérieur de la Communication sera un grave recul

Le Président du Comité d’Organisation du FILEP a interpelé le Président de l’Assemblée législative de Transition du Burkina Faso. « Nos regards sont en ce moment tournés vers votre institution. Si ce n’est déjà fait, ce sera certainement pour très bientôt. Vous aurez à examiner et à adopter la loi organique portant création attributions, composition, organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la communication (CSC). La Loi organique N° 015-2013/AN portant attributions, composition, organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la communication que l’on veut ainsi tronquer est l’un des symboles de nos luttes pour l’indépendance d’une institution comme le Conseil supérieur de la communication (CSC). Permettre que le Président du Faso nomme directement le Président du Conseil supérieur de la Communication sera un grave recul, au moment où d’autres pays de la sous-région se battent pour être au stade où nous sommes au Burkina avec un CSC dont le président est élu par ses pairs conseillers », a-t-il dénoncé. Avant d’inviter Monsieur le Président et son institution, à mesurer le poids historique d’un tel recul et surtout dans un contexte de Transition, censé être la période des réformes progressistes et audacieuses.

Les médias libres et indépendants ont leur place dans le contexte de la crise sécuritaire

« Bien évidemment, nous sommes conscients des défis liés à la crise sécuritaire. Mais nous affirmons et maintenons que les médias libres et indépendants ont leur place dans ce contexte », a-t-il déclaré. Il s’est élevé contre ceux qui opposent la lutte contre le terrorisme à la liberté. Selon lui, ils n’ont pas encore compris que l’objectif de la lutte contre le terrorisme c’est de libérer nos pays. « C’est l’idéal que nous défendons. Nous inscrivons du reste l’immense sacrifice des combattants civils et militaires dans la quête permanente, la consolidation et la préservation de la liberté », a-t-il déclaré. Selon lui, « leur sacrifice doit contribuer à vaincre l’obscurantisme et non à le généraliser. C’est notre conviction ». Pour cela, il dira que « c’est sur cette base que nous dénonçons et continuerons à dénoncer les cas d’atteintes aux libertés. On ne peut pas comprimer la liberté ». Et, pour renforcer la pertinence de ses propos, il a rappelé : « comme le disent les saintes écritures, ‘’ Au début était la parole’’, donnons donc à la parole tous ses droits ».

La Namibie remporte le Prix de Champion Africain de la liberté de la presse

Il a invité le Président de l’Assemblée législative de Transition du Burkina Faso à faire avec les journalistes « le constat d’une dégradation de la liberté d’expression et de la presse en Afrique et même à travers le monde ». Il dira que face à la saignée dans les flancs des médias et des journalistes de la part des gouvernants notamment, qu’ils ont choisi à leur manière de récompenser ceux qui dans ce contexte difficile savent encore soutenir les médias, les journalistes et la liberté. « C’est dans cette perspective que nous initions à partir de cette année le Prix de Champion Africain de la liberté de la presse », a-t-il déclaré. Avant d’annoncer que ce prix récompense le pays africain qui se serait illustré dans la promotion, le développement et la préservation de la liberté. « Pour cette première édition, c’est la Namibie qui s’est imposé », a-t-il indiqué. Selon lui, ce pays d’Afrique australe est resté à la tête du classement de Reporter Sans Frontière pendant au moins ces cinq dernières années.

Pour recevoir ce prix, une forte délégation namibienne conduite par le vice-ministre de la communication de la république namibienne, a participé au FILEP.

Assane Koné


Voir en ligne : Festival international de la liberté d’expression et de la presse : Les journalistes dénoncent la remise en cause des acquis

Portfolio

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.