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Tiébilé Dramé, l’homme qui veut négocier avec les djihadistes maliens

lundi 24 octobre 2016, par Assane Koné

Il ne nourrit pas l’ambition d’obtenir le prix Nobel de la paix, comme le président colombien Juan Manel Santos. Mais Tiébilé Dramé, ancien ministre des affaires étrangères du Mali, n’en est pas moins convaincu que la cause de la recherche de la paix vaut qu’on négocie avec les pires criminels. Y compris les djihadistes, auteurs d’exactions abominables dans le nord de son pays.

« Il ne sert à rien de nous cacher derrière notre petit doigt, regardons plutôt la vérité en face. Nous avons aujourd’hui des Coulibaly, des Mamadou, des Tounkara, des Konaté dans les groupes djihadistes : ce sont nos frères maliens. Nous devons parler avec eux », affirme, la voix posée et le regard perçant, ce Malien de 61 ans.

De ses années de luttes estudiantines, entre les lectures de Karl Marx et Lénine, le chef du Parti pour la renaissance nationale (Parena) a gardé l’expérience de l’évaluation du rapport des forces qu’il applique au conflit qui oppose le Mali aux groupes islamistes armés, tels que Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Eddine, le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ou le Front de libération du Macina (FLM).

« Une piste légitime et envisageable »

« Disons les choses comme elles sont : l’armée malienne s’est effondrée en 2012. Elle a besoin de répit pour se reconstruire. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on peut y arriver, malgré les milliards de francs CFA déversés dans la formation et l’équipement de nos soldats. Face au harcèlement permanent, il faut trouver une porte de sortie, y compris en prenant langue avec l’ennemi », explique à grand renfort de gestes celui que le tout Bamako décrit comme le plus sévère procureur du président malien Ibrahim Boubacar Keita, dit « IBK ».

A en croire l’ancien leader de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (Uneem), de nombreuses personnalités partagent son point de vue. « L’aménokal des Touareg et le président du Haut Conseil islamique malien m’ont assuré que le dialogue était une piste légitime et envisageable, argumente-t-il. Je suis sûr que de nombreuses personnalités nous rejoignent sur ce point, mais elles n’assument pas leur choix de crainte de déplaire. » Principalement aux partenaires occidentaux.

Entre son Nioro du Sahel natal, ses années d’exil à Paris et à Londres, Tiébilé Dramé s’est forgé un tempérament de bagarreur qui ne craint pas de prendredes coups pour ses opinions politiquement incorrectes. Tant pis si les sorties de l’ancien ministre, qui connaît du bout des doigts les Nations unies qu’il a servi au Burundi, à Haïti et à Madagascar, le mettent souvent à contre-courant.

Convaincre les sceptiques

Sur ce registre-là, Tiébilé Dramé avait déjà marqué le coup en se retirant bruyamment de la course à la présidence de 2013, pour protester contre le diktat des partenaires du Mali, dont la France, d’aller aux élections au plus vite.

« Lorsque IBK a été amené à libérer en décembre 2014 le djihadiste Ali Ag Wadoussène pour permettre la libération de l’otage français Serge Lazarevic, il a également élargi de jeunes Maliens qui ont cédé aux sirènes des groupes armés djihadistes. Pourquoi ne pas aller vers eux ? Je pose la question avec d’autant plus d’insistance que la Minusma n’a pas vocation à rester quarante ans au Mali. Barkhane n’est pas là non plus pour une durée indéterminée », dit-il sur un ton plus ferme et plus agacé, avant de poursuivre : « Des chefs djihadistes comme Mokhtar Belmokhtar, Abou Zeid ou Abderrazak El Para n’avaient pas vocation à se retrouver au Mali. Ils s’y sont installés à l’époque par la faute des dirigeants de notre pays. En revanche, Iyad Ag Ghali, Amadou Kouffa et les autres sont nos frères. C’est avec eux que nous devons discuter dans le cadre des assises nationales qui aborderont tous les problèmes du Mali. »

Pour convaincre les sceptiques, Tiébilé Dramé abat sa dernière carte en invoquant la nécessité pour le Mali de préserver ses relations avec ses voisins. En effet, les attentats de janvier à Ouagadougou (Burkina Faso), de mars à Grand-Bassam (Côte d’Ivoire), tout comme l’attaque menée le 6 octobre à Tazalit (Niger) et l’enlèvement le 15 octobre de l’Américain Jeffrey Woodke à Abalak, au Niger, auraient été planifiés dans le nord du Mali puis commis par des assaillants qui y sont retournés après leur forfait.

« Le Mali est devenu un pays exportateur d’instabilité, ce n’est pas tenable », insiste l’ancien leader étudiant au solide carnet d’adresses construit lors de ses années de chef de la diplomatie et de fonctionnaire onusien.

Prisonnier d’opinion devenu chercheur à Amnesty

Derrière le choix du pragmatisme, qui consiste à dire que puisque le Mali ne peut aujourd’hui gagner la guerre contre les groupes djihadistes et doit s’essayer à la discussion avec eux, apparaît très clairement la trajectoire personnelle de Tiébilé Dramé. Un engagement frontal contre le pouvoir qui lui a valu, entre 1977 et 1980, quatre incarcérations dans les sinistres geôles de Kidal, Bougheïssa, Talataye et Ménaka.

C’est dans ce nord du Mali, alors qu’il purge une peine de prison de trois mois ferme pour « opposition à autorité légitime », qu’Amnesty International le fait adopter comme prisonnier d’opinion. Quelques mois après sa libération et son passage par la case résidence surveillée, il prend le chemin de l’exil et atterrit en France en juin 1981.

« J’ai entamé cet exil à Paris le 10 juin, un mois après la victoire de François Mitterrand. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de le dire au président Mitterrand qui m’avait reçu lorsque j’étais devenu ministre des affaires étrangères », raconte-t-il, avec la fierté du leader étudiant passé des fers de la détention aux ors de la République.

Echapper au blues de l’exil

Dans la capitale française, ce grand amateur de couscous traditionnel de Nioro du Sahel accompagné de la sauce haricot réussit à échapper au blues de l’exil en s’adonnant à la lecture et à la marche, mais surtout en militant activement dans les milieux de l’immigration malienne et dans la diaspora afro-antillaise.

Le livre, l’une de ses passions, va d’ailleurs l’amener à croiser le chemin de Kadiatou Konaré, fondatrice de Canaris Editions et fille de l’ancien président malien Alpha Oumar Konaré, qu’il finira par épouser en secondes noces.

Il s’essaie à la radio en tant que directeur de la radio Diaspora 2000 devenue Tropic FM, mais continue surtout le combat pour l’avènement de la démocratie et du multipartisme au Mali à travers le groupe politique clandestin Union de lutte Tiémoko Garan Kouyaté (ULTGK). Avec d’autres intellectuels, il encourage la création d’une myriade de structures afin de déjouer la vigilance et déstabiliser le pouvoir de Moussa Traoré.

Son recrutement en 1988 comme chercheur en charge de l’Afrique de l’Ouest (Bénin, Niger, Mauritanie, Sénégal) par Amnesty international lui impose un devoir de réserve sans l’éloigner du combat politique.

Qualité de négociateur

Les années de lutte politique clandestine finissent par payer avec la chute en mars 1991 de Moussa Traoré. Les camarades de lutte de Dramé, qui avait entre-temps rejoint le secrétariat international d’Amnesty à Londres, font alors appel à lui pour devenir ministre en charge des Maliens de l’extérieur.

Il occupera ensuite, de 1996 à 1997, les fonctions de ministre des zones arides et semi-arides, poste qui lui a donné la légitimité et l’expertise pour mener à bien les négociations entre l’Etat et les groupes armés touareg à Ouagadougou en 2013.

C’est sans doute cette qualité de négociateur qui donne aujourd’hui un écho tout particulier à son appel aux discussions avec les djihadistes. En le faisant, il a conscience qu’il va heurter « les amis » du Mali, mais aussi s’attirer les foudres du président IBK avec lequel il entretient des relations exécrables, bien qu’ils furent tous deux militants de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France. Tiébilé Dramé et IBK s’étaient déjà affrontés lors des scrutins présidentiels de 2002 et 2007. Tout porte à croire qu’ils croiseront à nouveau le fer en 2018.

Seidik Abba
LE MONDE


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