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SALIF KEITA, Domingo de la musique malienne : « Le Mali a un potentiel artistique et culturel immense, mais la politique l’a toujours marginalisé »

vendredi 22 mai 2015, par Assane Koné

Dans cette interview, notre compatriote Salif Keita, star internationale de la musique se prononce sur plusieurs sujets. Le décret présidentiel sur les droits d’auteur, l’environnement de la culture malienne, ses investissements, sa Fondation, sa volonté de devenir député, ses dossiers fonciers en souffrance devant la justice malienne et l’Accord d’Alger, sont autant de points abordés par le Domingo de la musique malienne dans cette interview. Lisez !

Le gouvernement malien a adopté un décret relatif aux droits d’auteur. Attaqué par le patronat devant la cours suprême, il a été annulé pour excès de pouvoir. Quelle est votre analyse de cette situation ?

En ma qualité de citoyen malien, je me dis que personne n’est au dessus de la loi. Nous sommes derrière la loi. Ce sont des juristes qui ont analysé ce décret avant son adoption et ce sont d’autres juristes qui l’ont annulé. Actuellement l’affaire est toujours au niveau de la cour suprême. Je suis derrière la justice.

Quelle appréciation faite vous de l’environnement dans lequel évolue la culture malien ?

Je félicite les artistes maliens quelque soit leur domaine. Mais, je ne peux pas en faire autant pour les hommes politiques qui ont eu le privilège de gérer ce pays. Je n’ai pas encore vu ce que les hommes politiques de ce pays ont fait pour les artistes maliens. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, les artistes maliens ne bénéficient pas d’aide de la part de leur Etat. Ils sont malheureux. Malgré cette absence d’aide, les artistes maliens pétris de courage, vivent au jour le jour. Ils n’ont jamais eu la reconnaissance qu’ils méritent, mais ils restent les meilleurs ambassadeurs de notre pays à travers le monde. Le Mali a un potentiel artistique et culturel immense, mais la politique l’a toujours marginalisé.

Après le Moffu, vous venez d’installer le Djataland et la radio Nassira-oulé. Aujourd’hui l’on parle de plus en plus d’une télévision en gestation. Avec l’ouverture de tous ces chantiers est-ce une manière pour le Domingo de la musique malienne de préparer sa retraite musicale ?

C’est normal que je pense à ma retraite. Mais comprenez que je suis surtout dans mon devoir de promotion de la culture et de la musique, en particulier la musique malienne. Sans ces infrastructures, il sera difficile de donner la chance aux jeunes générations. Je crois que je vais atteindre mes objectifs malgré les problèmes qui nous assaillent tous les jours. Comme pas mal de musiciens dans le monde, j’ai envie d’avoir un studio de production, une radio et une télévision pour promouvoir la musique et la culture. J’ai besoin d’aide de tous ceux qui m’aiment bien pour arriver à réaliser ces chantiers qui seront très bénéfiques pour notre environnement culturel.

Depuis quelque temps, on entend plus trop parler de la Fondation Salif Keita pour les albinos. La Fondation a-t-elle des problèmes et quelles sont vos perspectives pour elle ?

Cette Fondation n’a pas été créée pour servir Salif Keita. Elle a été créée parce que j’ai constaté que les albinos sont stigmatisés et qu’ils ont de nombreux problèmes de santé. Je suis d’accord avec vous, on a l’impression que la Fondation ne travaille pas, parce que je ne médiatise pas ses actions. Et, pourtant, elle travaille comme à ses débuts. Je continue d’envoyer des malades en Côte d’Ivoire. Ici, je continue avec l’Institut Marchoux. Tous les jours on enregistre environ une dizaine d’albinos dans la Fondation. Donc, je n’ai pas abandonné. Je ne suis pas quelqu’un qui veut médiatiser ses actions de bienfaisances. J’ai envie de rendre service à mes prochains quand ils sont dans des difficultés et je n’ai pas besoin de caméras pour ça. Il faut cependant regretter le fait qu’on n’arrive pas toujours à les soigner. Ils arrivent souvent à la fondation avec des maladies à un stade très avancé. Certains guérissent, mais d’autres pas. Je fais toujours de mon mieux. Mais, la Fondation existe toujours.
Par ailleurs, il faut dire que j’ai refusé des capitaux en provenance du Maghreb, pour la simple raison que les arabes n’ont pas d’albinos. Il n’y a en jamais eu. Ils sont tués dès la naissance par strangulation. Je suis sûr et certain que j’aurai d’autres aides, parce que je suis sur la bonne voie. Ceux qui savent que je me bas pour une cause juste, viendront à mes côtés pour qu’on vole au secours des albinos.

Est-ce que votre projet de devenir député est toujours à l’ordre du jour ?

J’ai voulu être député parce que je sais que les maliens sont mal représentés à l’Assemblée, à cause de l’analphabétisme. On ne devient pas député au Mali parce qu’on aime ce pays. On est député au Mali parce qu’on a l’argent et on peut corrompre les gens. Je suis sincère et je ne suis pas d’accord avec de telles pratiques. Je vais dire quelque chose qui ne va pas plaire aux gens. Il serait intéressant qu’on fasse voter que ceux qui comprennent ce que c’est qu’un Etat. Que ceux qui ne comprennent pas ce que c’est que la démocratie et ceux qui ne comprennent pas que par leur vote, ils peuvent donner des dirigeants qui vont foutre le Mali dans la merde, ne puissent pas voter. Il faut instruire les maliens a avoir l’esprit de patriotisme. Qu’on fasse voter que seulement ceux qui ont un esprit de patriotisme. Et qui sont conscients que leur choix dans les urnes amènera à la tête du pays des gens qui peuvent le développer. Je ne sais pas quand est ce cela sera possible. Mais, je retiens que tous les maliens sont partant pour le développement du pays parce qu’on vit dans ce pays que nous aimons donc nous devons contribuer à son émancipation.

Donc, c’est le fait que vous êtes arrivés à la conclusion que certains hommes politiques ne sont pas suffisamment à la hauteur que vous avez voulu être député ?

Le jour où je serai à l’Assemblée, ce ne sera pas pour caresser les gens. C’est pour défendre les intérêts du Mali. C’est pour défendre les gens qui vont voter pour moi. C’est pour défendre ceux qui n’ont pas droit à la parole. A cause de mon franc parlé, ils savent que ma présence à l’Assemblée nationale ne sera pas de tout repos. Ils auront du mal à faire ce qu’ils font. C’est pourquoi, j’ai du mal à y entrer.

Qu’est ce que vous pensez aujourd’hui de la situation économique, politique, sociale et culturelle du pays ?

Sincèrement, je ne suis pas optimiste. Je ne suis optimiste que pour la musique, car je sais que les gens vont toujours aimer la musique. Mais la politique au Mali, je ne suis plus optimiste. C’est une guerre fratricide. La guerre entre des amis. Et, si on ne fait pas attention, on sera bouffé par l’amitié et on risque de supporter les mauvaises conséquences. Sincèrement je ne suis plus optimiste. J’aime ce pays et je ne veux pas mentir. Sérieusement, je n’ai pas envie de mentir. Je ne suis plus optimiste. Je l’étais avant, mais je ne le suis plus.

Est-ce que les dossiers que vous avez devant la justice malienne ont évolué en ce qui concerne votre terrain à Missabougou et votre maison à Kalanban Coura ?

Ce n’est pas seulement une maison ! Ce sont tous mes terrains. Dans mon village, à Bamako et partout où j’avais acheté des terrains. Dans notre métier, on t’applaudit aujourd’hui et demain ils ne peuvent ne plus t’applaudir ! Et, comment finir les vieux jours ? Pour prévoir demain, j’ai acheté des terrains avec le peu d’argent que je gagnais. J’achetais des terrains avec des titres fonciers. Mais, ces titres fonciers ont été détournés avec des faux papiers. J’ai failli être tué. J’ai échappé quatre fois à des tentatives d’assassinat. Concernant cette affaire, je suis optimiste, parce que j’ai vu des juristes qui ont compris que je suis victime d’arnaque. Ils ont décidé de m’aider. Il faut toujours croire à la justice. On peut se fâcher contre elle, parce qu’elle est souvent lente dans ses procédures. Mais, il faut reconnaitre qu’il y a des gens très correctes et justes qui luttent pour protéger les victimes.

Votre avis sur les accords d’Alger ?

Les maliens doivent se lever. Il faut que les maliens se soulèvent. Il faut que les maliens aident le gouvernement. Il faut que les maliens se mobilisent derrière leur gouvernement. Le jour où la communauté internationale verra la mobilisation des maliens derrière leur gouvernement, ce jour-là, les accords seront signés ou seraient vus dans le sens de l’intérêt du pays et non d’une minorité. C’est le pacifisme des maliens qui fait qu’on traine sur certaine situation. Les maliennes ne se soulèvent jamais. Ils n’aident jamais leur gouvernement. Le gouvernement représente le Mali, mais il faut souvent que les 15 millions de maliens soient dans la rue pour le soutenir pour la paix. A vu de cela, la communauté internationale va suivre.

En Afrique, des artistes de votre niveau ont bénéficié de soutiens de leur Etat. Est-ce que c’est votre cas ?

Malheureusement non. De 1969 à 2015, la seule subvention que j’ai eu dans ma vie de la part de l’Etat malien, ce sont les dix (10) millions de FCFA qu’ATT m’a donnés quand j’ai voulu fêter mon retour au bercail. Ce jour-là, cela m’a fait plaisir. Pas pour l’argent, mais pour le geste qui traduit le fait que des hommes d’Etat s’intéressent à la culture maliennes à travers Salif Keita. Bon, il ya eu des gestes pour certains artistes qui sont proches de leur parti. Ils font tout pour les aider dans l’aide qui vient de l’extérieur. J’ai jamais eu de l’argent ni du PSIC ni du PADESC.

En votre qualité de vétéran de la musique malienne, star internationale de la musique. A votre avis qu’est ce qu’il faut pour que la culture malienne aille de l’avant ?

Il faut que la culture malienne soit considérée par la politique malienne. Les artistes vivent dans des situations déplorables. Tous les grands musiciens qui sont partis, ceux du Biton national, Tidiane Koné, Kélétigui Diabaté, pour ne citer que ceux-ci parmi tant d’autres, ont tous fini dans des difficultés. La piraterie, même demain, est dans la rue dans toutes les villes maliennes. Les musiciens voient leur argent aller dans la poche d’autres personnes. Et, l’Etat n’a jamais fait quelque chose parce que les pirates sont des électeurs. Ils ont du monde derrière eux. Et, la police, la gendarmerie et la douane, tous corrompues. Et, rien n’a été fait pour mettre les artistes dans leurs droits au Mali. C’est pour cela que j’ai eu à les féliciter au début de cette interview. Tous les Etats qui se sont développés, l’ont fait sur la base de leur culture. Je ne sais pas pourquoi le Mali ignore sa culture si riche et qu’il laisse ses musiciens et autres artistes mourir dans la misère.

Assane Koné
Journal Hebdomadaire culturel malien
NOTRE CULTURE

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