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Ramatoulaye Diallo, ministre de la culture du Mali, à la Tribune des Nations Unies : « Le Mali s’engage à réarmer moralement par la culture ses populations »

mardi 6 mai 2014, par Assane Koné

Mme N’Diaye Ramatoulaye Diallo, ministre de la culture du Mali, a partiipé du 5 au 6 mai 2014, au débat thématique de haut niveau sur la Culture et le Développement Durable, organisé aux Nations Unies. Madame le ministre a prononcé un discours mémorable où elle a indiqué que le Mali s’engage à réarmer moralement par la culture ses populations. Lisez !

Excellence M. Le Secrétaire Général des Nations Unies
Excellence Monsieur le président de l’Assemblée Générale des Nations Unies
Excellence, Madame la Directrice Générale de l’UNESCO
Excellence, Monsieur le Secrétaire Général de l’OIF

Mesdames et Messieurs,
Je voudrais commencer cette allocution par la morale de l’histoire du Roi de l’Empire du Mali, Soundjiata KEITA qui enfant était perclus. Cet handicap physique, qu’il surmontera de façon extraordinaire, ne l’a pas empêché d’être cet empereur respecté pour ses combats mais aussi pour son impact visionnaire des siècles durant.
Le Mali, dont j’ai l’immense honneur de porter la voix ici, aujourd’hui, se relève de l’handicap à lui imposé par la barbarie humaine. Le Mali qui se tient debout ici aujourd’hui, l’est pour des générations futures.

Mesdames et Messieurs,
Nous avons connu la pire expression de l’obscurantisme, celle qui s’accompagne d’une violence inouïe contre l’humain et contre les richesses de l’humain.
• Jamais, le Mali n’a été aussi secoué, aussi bousculé dans sa revendication d’une nation unie.
• Jamais, le peuple malien n’a été autant mis au pied du mur dans sa revendication d’être un peuple partageant des années d’histoires communes.
• Jamais, le Nord et le Sud du Mali n’ont été autant présentés comme irréconciliables dans leur revendication unanime de la pratique d’une religion musulmane prônant tolérance, paix et cohésion sociale.
Les affres de la guerre, au-delà des images difficiles, au-delà des commentaires, au-delà des chiffres, au-delà même de l’imaginable, ont atteint un paroxysme aux conséquences dévastatrices sur ce qui était le socle même de la nation malienne : LA CULTURE. Cette dégénérescence de la civilisation est pour moi le reflet de l’ignorance. L’ignorance de la culture conduit à des sommets d’ignominie civilisationnelle.

Je voudrais ici remercier vivement la forte mobilisation de la communauté internationale qui, sous le leadership de l’UNESCO et sa directrice générale, Madame Irina Bokova, s’est portée au chevet de la culture malienne. Cette mobilisation a été singulièrement appuyée par l’acte inédit du Conseil de Sécurité qui pour la première fois de son histoire, et sous l’impulsion de son secrétaire général M. Ban Ki MOON, a donné mandat à la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation du Mali (MINUSMA) de protéger le patrimoine culturel malien en collaboration avec l’UNESCO. Je voudrais aussi saluer les initiatives françaises, les apports de l’Union Européenne et l’approche singulière marocaine de la question de la réconciliation qui appuie le Mali dans la recherche d’une culture religieuse de tolérance et de paix.
A ce jour, le Mali est dans une phase de reconstruction et de réhabilitation à la fois de sa mémoire culturelle physique, à travers le lancement du processus de réhabilitation du patrimoine culturel de Tombouctou, conduit conjointement par le département de la culture et l’UNESCO. Ce processus s’étendra, dans les mois à venir, aux mausolées, au monument El Farouk et au centre de Manuscrits anciens Ahmed Baba et à d’autres édifices majeurs. Aussi, la conscience culturelle a connu un choc qu’il est nécessaire de réparer au plus vite. Le Mali s’engage à réarmer moralement par la culture ses populations.

A l’analyse de l’état des lieux de la culture dans mon pays, je retiens une richesse et un potentiel énorme loin d’être mesuré à sa juste valeur et surtout sous exploité. Je retiens aussi une perception plurielle de la culture. D’abord, à l’aune de la crise que nous avons connu, nous percevons la culture comme un facteur d’identité et de cohésion sociale qui joue un rôle cardinal dans le mode de vie et d’interaction des communautés, et doit tenir une place centrale dans le processus de reconstruction sociale et de réconciliation nationale. Il existe au sein des groupes socioculturels maliens des ressources de sagesse pour prévenir, gérer et éteindre les conflits. En cela, le patrimoine culturel oral est l’un des plus riches au monde par la profondeur de la pensée que la pertinence et le poids des symboles. La Charte de Kurukanfuga (ou Charte du Mandé) proclamée en 1236, institutionnalisant la parenté à plaisanterie ou cousinage à plaisanterie, ou encore le TOGUNA, abri de dialogue et d’écoute en pays Dogon, sont des socles culturels devant être des leviers qui favorisent un retour de l’entente et la paix.

Ensuite, Mesdames et Messieurs, quand il s’agit pour moi d’établir le lien culture et développement durable, j’évoque en toute évidence l’incidence économique de l’activité culturelle au Mali. En effet, en 2007 déjà, sous l’impulsion de l’Union Européenne, le Mali a bénéficié d’une étude indépendante tendant à établir des données chiffrées sur l’impact de la culture dans le développement économique, social et humain. Il en est ressorti que notre pays, malgré sa culture riche et diversifiée, n’injectait qu’à peine, 0,4% du budget national dans le secteur. Cependant, la culture participait à hauteur de 2,38% du Produit Intérieur brut. La culture était pourvoyeuse d’emplois avec ses 115000 emplois qui représentait 5,8% de la population active en 2006. Ce rapport établissait un tableau peu reluisant quand on ambitionne de faire de la culture un moteur de croissance économique. Effectivement, le secteur de la culture y est décrit comme un secteur fonctionnant dans l’informel qui manque d’entreprises établies qui puissent assurer les fonctions nécessaires pour la production, la reproduction et la mise sur le marché de biens culturels. Et il est à noter qu’une industrie culturelle digne de ce nom n’existait pas à cette époque, malgré que le Mali ait offert à la world music ses dignes représentants (Ali Farka TOURE, Amadou et Mariam, Salif KEITA etc.) Le cinéma, la littérature, l’art photographique ne sont pas en reste.

Malheureusement, aujourd’hui encore ce constat est une réalité. Mais cela ne saurait être une fatalité pour nous. Conscient du potentiel historique et conscient de la force créative du Mali, le gouvernement du Mali sous l’impulsion du Président de la république Ibrahim Boubacar KEITA, a dégagé une vision de la culture sans ambigüité en phase avec le plan d’action adopté en février 2013 à l’UNESCO et s’inscrivant dans la continuité du document de plan de relance économique durable du Mali (PRED) présenté aux donateurs de Bruxelles en Mai 2013.

Enfin, Mesdames et Messieurs, le Mali accueillera très prochainement les consultations nationales sur Culture et Développement durable à l’initiative du Groupe de développement des Nations Unies pour le Développement (GNUD), sous la coordination de l’UNESCO, du FNUAP et du PNUD. Ceci démontre à suffisance l’engagement ferme et résolu du Mali de s’inscrire dans le schéma de développement post 2015 dont nous dessinerons ici les prémices.

L’engagement du Mali n’attendra pas 2015 pour faire de la Culture le quatrième pilier du développement durable. L’adoption récente du projet de décret portant modalités de perception et de répartition des redevances de droits d’auteurs et de droits voisins ainsi que la préparation de plusieurs textes permettront au secteur de la culture de bénéficier d’un cadre institutionnel favorable à son plein épanouissement. In fine, le Mali s’engage à promouvoir les industries culturelles débarrassées du fléau de la piraterie, à faire de la culture, au travers de la promotion des langues nationales, le soutènement d’une éducation idoine et qualité et surtout le mali s’engage à investir dans les infrastructures culturelles. C’est pourquoi, l’Etat du Mali reste dans la logique d’associer des investissements privés tant nationaux qu’internationaux et je me fais ici le porte-voix commercial de cette vision.
Investir dans les infrastructures culturelles c’est garantir des emplois certes, mais aussi, c’est créer les conditions de protection à la fois des sites du patrimoine culturel et de l’environnement.

Mesdames et Messieurs,
Notre culture d’aujourd’hui, héritée d’hier, doit parvenir à demain, encore plus riche et encore plus importante pour la construction de la civilisation humaine.
En félicitant l’UNESCO, j’en appelle à un engagement des états membres pour que dès 2015, la culture puisse être replacée au cœur des politiques sectorielles de développement. En paraphrasant Héraclite, qui soutenait qu’il y’a deux choses qui compte pour l’Homme, le courage et la Culture, je nous souhaite du courage pour aboutir à un agenda de développement durable post 2015 culturalisé.

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