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Musique malienne : Khaïra Arby n’est plus
lundi 20 août 2018, par
La voix de la chanteuse malienne Khaira Arby (décédée ce dimanche 19 août 2018 à l’âge de 59 ans) avait fini par se confondre avec celle des différentes communautés du Nord de son pays, célébrant la culture, la diversité culturelle, le dialogue et la paix. A ces engagements, la musicienne avait ajouté celui de la défense des droits des femmes à l’autonomie, à l’instruction, à la formation et à l’égalité, ainsi que le plaidoyer contre les mutilations génitales féminines. Dans un contexte social où le patriarcat tend à les réduire à des rôles subalternes.
Khaira Arby est née à Tombouctou, où, dès son jeune âge, elle apprend à chanter dans les mariages, baptêmes et autres cérémonies traditionnelles. A 13 ans, elle intègre une troupe de sa ville natale avant de partir à Gao, à 400 Km, pour être membre de l’orchestre de la ville. C’était l’époque où la politique culturelle encourageait l’émergence de formations musicales régionales. On la retrouve plus tard au sein du Badema National, lequel a aussi eu dans ses rangs Kassé Mady Diabaté.

Au début des années 1990, elle se lance dans une carrière solo, à l’instar de nombreuses autres cantatrices maliennes, mandingues essentiellement. La musique de Khaira Arby est illustrative de la diversité des communautés ethnolinguistiques de son terroir, avec le ngoni, le njarka, les percussions comme instruments, et des chansons en sonraï, tamashek, bambara ou arabe. Pour elle, la reconnaissance internationale est tardive, mais elle réussi, dans les années 2000 et 2010, à se faire connaître hors de son pays, effectuant des tournées notamment en Amérique du nord. Lorsque, en 2012, des groupes djihadistes envahissent le nord du Mali, en prônant notamment l’interdiction de la musique, ils la menacent, détruisent ses instruments et s’attaquent à sa famille. Elle quitte Tombouctou, s’exile et s’installe à Bamako.
Cela n’altère pas sa détermination. Dans sa démarche, il y a cet esprit de résistance à toute forme d’obstruction à la liberté. Aux partisans d’une interdiction de la musique au nom de la religion, elle rappelait, dans un documentaire réalisé par David Commeillas, en 2016, que l’islam ne l’a jamais interdite, soulignant que « le Prophète a été accueilli avec des chansons lorsqu’il est arrivé à La Mecque. » « Nous couper la musique, c’est comme nous empêcher de respirer. Mais on continue à lutter, et ça va aller, inch’Allah », affirmait-elle.
Khaira Arby a toujours été au front, celui de la défense d’une idée du vivre-ensemble. Et quand, en janvier 2013, la chanteuse Fatoumata Diawara réunit une quarantaine de musiciens, parmi les plus connus du Mali, pour enregistrer ‘’Mali-ko’’, une chanson pour la paix, elle était là, aux côtés d’Amadou et Mariam, Djélimady Tounkara, Oumou Sangaré, Bassékou Kouyaté, Toumani Diabaté, Kassé Mady Diabaté, Habib Koité, Amkoullel, Vieux Farka Touré... Comme un symbole, c’est sa voix qui donne le ton. Cette voix forte, au service de la liberté, de la paix, de l’égalité et de la justice, qui vient de quitter la scène.
Kibili Demba Cissokho
Dakar, le 19 août 2018
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