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Gestion de l’aide humanitaire au Mali : L’absence de coordination fait désordre dans la distribution

mercredi 22 janvier 2014, par Assane Koné

« Depuis que nous sommes arrivés à Bamako, nous n’avons jamais bénéficié d’une quelconque aide d’une institution ou une organisations quelconque. Nous avons vécu grâce à la solidarité de nos voisins  », s’est lamentée Mariam Maïga, veuve et mère de cinq enfants. Son mari est décédé deux mois avant le 17 janvier 2013, date de démarrage des hostilités entre l’armée malienne et le mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). «  Nous n’avions jamais pensé que la crise allait s’aggraver, jusqu’au point que nous soyons obligés de fuir Tacharan, notre village situé à quelques kilomètres de Gao  », indique Mariam. Déplacée d’abord à Mopti avec ses enfants âgés de 2 à 12 ans, puis à Bamako, Mariam Maïga et les siens seraient parmi les déplacés qui ont souffert de la mauvaise gouvernance de l’aide alimentaire, au plus fort de la crise. Elle apprend chaque jour à la radio que tel ou tel partenaire a mis à la disposition des victimes de la crise au nord du Mali, telle quantité de vivres. Malheureusement, tout porte à croire que Mariam Maïga n’est pas un cas isolé.

Soumaila Maiga, résident en location a Yirimadio, un quartier périphérique de Bamako, est marié et père de 7 enfants, dont des jumeaux. Il serait dans la même situation. « Depuis que je suis arrivé à Bamako avec ma famille, fuyant les combats au nord du pays, je n’ai jamais reçu d’aide  », a-t-il indiqué. C’est aussi le cas de Fati Maïga, une jeune fille d’environ une vingtaine d’années et devenue chef de famille malgré elle. Orpheline de père, elle s’est retrouvée à Bamako avec six de ses sœurs et frères, lorsque, dans la débandade sa mère fuyant les combats, s’est refugiée au Niger. « Nous sommes à Bamako depuis mars 2012. Comme vous le voyez, je suis chef de famille sans ressources ni revenus. On se débrouille pour payer la location de cette maison et pour vivre, car nous ne sommes pas assistés », nous a indiqué Fati Maiga, lorsque nous lui avons rendu visite à Sirakoro-Meguetana, dans la périphérie de Bamako.

Regrettant la souffrance de nombreux Maliens déplacés du nord, un haut responsable de l’administration malienne, qui a même joué, un moment donne de la crise, le premier rôle a la tête du département de l’action humanitaire pendant la transition, nous a indique : « Je ne suis pas satisfait de la coordination dans la gestion de l’aide alimentaire ». Avant de déclarer : « J’ai l’impression que les différents acteurs interviennent dans un désordre total et chacun fait ce qu’il veut ». Il est allé jusqu’à douter si certaines organisations religieuses n’ont pas des agendas cachés. En ce qui concerne le système des Nations Unies qu’il trouve plus neutre, il pense qu’il doit accepter que l’Etat, à travers le gouvernement, soit le premier responsable dans un pays et accepter de se mettre derrière lui.

Manque de coordination dans la gestion de l’aide alimentaire au Mali par l’Etat ? Et, quelles ont pu être les conséquences de ce manque de coordination ?

« La coordination a bien marché et continue de bien marcher au niveau nationale et au niveau terrain », nous a indiqué Katy Thiam, chargée de l’information publique à OCHA (Office of coordination for humanitarian affair’s). Avant de décliner le dispositif mis en place. Selon elle, il y a une instance supérieure, appelée coordination pays. « Placée sous la direction de David Gressly, coordinateur humanitaire pour le Mali, elle se réunit toutes les semaines, dans un forum, les bailleurs de fonds, les Agences des nations-Unies, les Organisations non gouvernementales et la croix rouge, comme observateur  », a-t-elle indiqué.

Avant d’ajouter qu’il y a ensuite les inter-clusters et les clusters. «  A Bamako, on a 9 clusters fonctionnels. Ce sont : sécurité alimentaire, éducation, santé, nutrition, eau, hygiène et assainissement, logistique, télécommunication d’urgence, protection et un secteur coordinateur  », a-t-elle révélé. Katy Thiam a insisté sur le fait que les inter-clusters ont lieu toutes les semaines pour discuter des difficultés au niveau des clusters. Elle a tenu à préciser que les 3 niveaux sont connectés. En ce qui concerne le niveau terrain, elle a indiqué l’existence du groupe inter agence de coordination, composé de représentants des agences des Nations Unies, des ONG, les clusters et la Croix rouge comme observateurs. «  Nous sommes au Mali pour aider le gouvernement. Pour se faire, nous avons conscience qu’il ne faut pas aller en rang dispersé », a-t-elle indiqué. Avant d’ajouter que OCHA a 100 ONG dans sa base de données, en raison de 60 qui interviennent au sud et 40 au nord. Et, pour mettre un accent sur le fait que le gouvernement malien est au courant de tout ce qui se fait sur le terrain, Katy Thiam dira : «  toutes les semaines, le coordinateur humanitaire rencontre le ministre de l’action humanitaire pour lui faire le point des actions sur le terrain  ». Et, mieux, elle dira que les services techniques de l’Etat participent aux réunions des clusters et assurent même la coprésidence.

Elle a néanmoins admis que malgré la bonne coordination, leurs actions ont des limites imposées par le GAP financier qui ne leur permet pas de couvrir tous les besoins. « Sur un appel de fonds de 477 millions de dollars Us, ce sont 239 millions de dollars us qui ont été mobilisés pour le Mali en 2013. Avec la précision que 135 millions de dollars US ont été attribués à des projets qui ne sont pas compris dans l’appel 2013 pour le Mali  », a-t-elle indiqué.

L’organisation de OCHA cache mal la non maîtrise du processus par l’Etat malien

Abdoulaye Albadja Dicko, secrétaire général du Collectif des ressortissants du Nord (COREN), après avoir admis que sa structure a reçu des appuis pour les coordinations régionales qui ont fait des distributions au niveau des cercles, reconnait qu’il y a eu des gestions à plusieurs niveaux. « C’était comme un oiseau à plusieurs têtes », a-t-il indiqué. Avant d’ajouter que « la gestion n’était pas bien coordonnée  ». Et, Wangara Abdrahamane, secrétaire aux activités culturelles du Coren d’accuser : « Nous avons pensé travailler avec l’action sociale, mais les dons ont convergé vers les Mairies, où certains élus n’ont pas hésité à les utiliser à des fins électoralistes  ». Il reste convaincu qu’il n’y a pas eu une coordination parfaite de la gestion de l’aide humanitaire. Mais, il a une explication, à sa manière à cette insuffisance. «  La crise a surpris. Tout le monde a voulu aider. Et certain ne savaient pas qui aider et où aider », a-t-il estimé. Avant de dire que le manque d’organisation a impacté la qualité de l’assistance. « On devait centraliser toutes les aides au niveau du département, afin qu’on ait des répondants après la gestion », a-t-il conclu.

Sur un tout autre plan, Almahady Cissé, Président de l’Association Cri de cœur, met un accent sur le fait qu’à un moment donné de la crise l’Etat n’avait aucune capacité d’intervention au Nord, auprès des populations sinistrées. Selon lui, avec la chute des villes du nord et la débandade de l’administration, ils se sont vus dans l’obligation de faire quelque chose. « Nous avons exigé l’ouverture d’un couloir humanitaire, par une marche le 3 avril 2012. Le 7 avril on a eu gain de cause et le 13 avril on a organisé une mission humanitaire à destination de Tombouctou et de Gao », a-t-il indiqué. Avant d’ajouter qu’après cette expérience, le ministère est venu les rencontrer pour poser le problème de la coordination des actions. « On a mis en place une plate forme éphémère avec des structures comme le Coren, la Croix-Rouge, le haut conseil islamique et Cri de cœur  », a-t-il révélé. Cette plate forme a permis l’organisation d’un deuxième convoi humanitaire, à destination des villes de Tombouctou, Gao et Kidal. Et comme il fallait s’y attendre la troisième mission n’a pas bien marché, parce que les besoins sur le terrain, étaient de loin supérieurs à l’offre.

Exclusion par l’Etat des bénévoles

Qu’à cela ne tienne, il avoue qu’ « au début, il n’y avait pas une grande organisation. Au moment où nous avons démarré nos activités, il n’y avait pas l’Etat. Ensuite, l’Etat a souhaité avoir des structures sur lesquels compter et après l’Etat a voulu s’imposer sans manière  ». Avant d’indiquer que l’Etat a même procédé à l’exclusion des bénévoles de Cri de cœur au profit d’individus qui percevaient des perdiems de 80 000 FCFA par jour de mission.

Almady Cissé pense que la plate forme a échoué parce que les objectifs des organisations qui la composaient étaient divergents. «  Derrière l’humanitaire, il y a eu des positionnements politiques  », a-t-il accusé sans dire de nom. Pire il a accusé l’Etat qui a failli à son rôle de coordonnateur, pour la simple raison que certains ministres ont même courtisé les religieux. Mais, Almahady Cissé pense que c’est avec OCHA qu’il a senti un début de coordination. «  L’Etat devait donner une feuille de route et les partenaires devaient intervenir dans le cadre de cette politique  », a-t-il estimé. Avant d’indiquer qu’on a l’impression que l’Etat suit les partenaires et non le contraire. « Le Gouvernement n’a pas géré l’humanitaire avec professionnalisme, si non comment des denrées ont pu pourrir alors qu’il y a des besoins sur le terrain », a-t-il conclu.

Du côté de l’église évangélique baptiste de Nianmakoro, le Pasteur André Théra qui a accueilli plus de 500 personnes déplacées, au plus fort de la crise, est formel. « Honnêtement, pour ce qui nous concerne, il y a eu un certain désordre dans la coordination », a-t-il déclaré. Avant d’ajouter que c’était comme si les ONG qui intervenaient ne se concertaient pas. « Bien que nous avons appris qu’il y avait une plate forme de concertations, nous n’avons pas eu à le sentir  », a-t-il indiqué. Avant de déclarer qu’ils ont été confrontés à des besoins d’alimentation, au moment ou plusieurs ONG se sont succédé pour distribuer des kits scolaires. «  Un enfant pouvait se retrouver avec 3 à 4 kits scolaires au moment où ses parents n’avaient rien à mettre dans la marmite. Donc, des kits se retrouvaient sur le marché au moment où ils pouvaient servir ailleurs d’autres enfants », a-t-il regretté. Selon lui, le fait que les différents intervenants n’ont pas agi en concertation, a eu pour conséquences de disperser les efforts et les impacts n’ont pas été perceptibles. «  La coordination est importante et chacun doit savoir dans quel domaine s’engager. Elle évite la dispersion des efforts », a-t-il conclu.

Du coté de la Croix rouge malienne, Ismaela Haidara, secrétaire chargé de la mobilisation des ressources, a estimé qu’il y a eu beaucoup d’associations et chacun a fait quelque chose de son coté. Mais, il reste convaincu que le ministère devait jouer son rôle de coordination. «  Toutes les ONG interviennent avec les mêmes cibles, dans les même zones avec les même choses, alors qu’une coordination aurait pu nous permettre d’être beaucoup plus performant », a-t-il déclaré.

Suffisamment accusé, l’Etat se défend

«  L’Etat était conscient, mais il était tellement faible qu’il n’avait pas tous les moyens pour juguler le problème  », a indiqué Diallo, Directeur national du développement solidaire. Il pense que les difficultés sont partis du fait que des associations se sont créées spontanément et surtout du fait que des donateurs voulaient directement passer par les ONG qui selon eux sont en contacte avec les populations bénéficiaires, « or dans ce genre de situation, il faut craindre les abus », a-t-il indiqué. Avant de dire que l’Etat a essayé de limiter les dégâts. «  Mais, on a assisté à une course contre la montre entre les associations, comme si certaines cherchaient plutôt à se faire voir et ce qui était craint s’est produit au finish  », a-t-il déclaré. Il a indiqué que des victimes à un moment donné, se sont plaintes du comportement de certaines associations qui n’étaient pas claires. Il a aussi estimé que dans leurs interventions, le système des Nations -Unies en faisait un peu à sa tête. « Aujourd’hui, le ministère travaille à la gestion de ce problème  », a-t-il révélé. Avant d’ajouter que la pertinence de la question a été perçue par les autorités, d’où le démarrage d’un travail de conception pour amener tout le monde dans la même ligne de conduite.

Pour sa part Kassim Keita du centre de documentation et stratégique des personnes victimes, a indiqué que pour la collecte des statistiques, au début, il y a eu d’énormes difficultés entre eux et l’OIM. « Il y a eu un problème entre les chiffres. Bien que l’OIM ait de l’expérience, nos motivations sont différentes  », a-t-il indiqué. Avant d’ajouter que c’était pour la première fois que le Mali ait été confrontée à un tel problème. «  Il faut reconnaitre que les travailleurs sociaux n’étaient pas préparés pour gérer une telle situation. Mais, qu’à cela ne tienne, ils ont fait ce qu’il pouvait », a-t-il estimé.

En termes de perspectives, Dr Amadou Traoré, conseiller en charge de l’action humanitaire du ministère, a estimé que la crise a entrainé beaucoup de déplacements. Selon lui, les services nationaux n’étaient pas préparés pour ça et comme la nature a horreur du vide, les associations et ONG maliennes et internationales ont assuré la mission de l’Etat. «  Mais, après la libération des régions au nord du Mali, l’Etat veut être sur le terrain pour prendre en charge ses populations  », a-t-il indiqué. Avant de révéler qu’avec l’arrivée des nouvelles autorités une grande réflexion est faite pour que l’Etat joue pleinement son rôle de coordination. «  Dans les semaines qui viennent, les instruments pour donner les orientations stratégiques, de décisions et de planification des activités, seront disponibles », a-t-il révélé, Avant d’ajouter que personne ne souhaite une autre crise, mais qu’un dispositif sera mis en place pour faire face à de telles crises. «  Nous prévoyons la formation du personnel pour faire face à de tels problèmes  », a-t-il conclu.

Assane Koné

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