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FESPACO 2025 : La Somalie sort de l’ombre

samedi 1er mars 2025, par Assane Koné

C’est 2021, à l’occasion de la 27e édition du FESPACO que la Somalie, avec Kadar Ahmed a conquis la plus haute distinction du Cinéma africain à travers son œuvre “la femme du fossoyeur”, succédant ainsi au Rwandais Joël Karekezi, lauréat de ce graal en 2019.

Ce consécration continentale a mis en lumière l’immense potentiel de création de ce pays de la corne de l’Afrique, durement éprouvé par plus de trois décennies de guerre civile à la suite du départ de l’homme fort du pays, le Général Mohamed Siad Barré au début des années 1990.
Pour cette 29e édition, le pays tentera de réaliser un nouvel exploit avec le Long métrage de fiction du réalisateur austro-somalien Mo Harawe “The village next to paradise”. Le film montre un bel exemple d’amour, d’unité, et de solidarité entre un frère et sa sœur vivant dans un petit village du désert somalien. Mamargade, père célibataire, cumule les petits boulots pour offrir à son fils Cigaal une vie meilleure. Sa sœur Araweelo, divorcée, revient vivre avec lui. Malgré les affres de la guerre civile et les nombreuses catastrophes naturelles que connait ce pays, ce lien de sang et cette confiance réciproque leur ont permis de résister aux difficultés de la vie ( précarité, manque d’emploi, concurrence acharnée pour décrocher un boulot, crise monétaire) et de prendre leur destin en main.

Ce film d’une qualité technique de belle facture explore avec finesse les relations entre des personnages, capte leurs silences, leurs regards, leurs attentes. Il décrit aussi la situation socio-politique de la Somalie et les difficulté que rencontrent les femmes qui n’ont pas acquis leur indépendance et ont du mal à se défaire de ce statut qui les relègue au second plan.

C’est dans les années 1913-1934 qu’est né le cinéma somalien sous la forme de films d’actualité. Cependant, il faut attendre les années 1960 pour voir le pays se doter d’une industrie cinématographique à travers la création en 1970, de l’Agence Cinématographique pour superviser la production et l’importation de films dans le pays. Les films produits sont pour l’essentiel tirés de la riche tradition de conte. On peut citer entre autres : “Love Does Not Know Obstacles” (1961) de Hussein Mabrouk, “ The Horn Of Africa” ( 1961) fruit d’une collaboration entre la Somalie et la Chine qui remporta le 1er prix lors du quatrième Festival International du film africain de Mogadiscio et “ Miyo Iyo Maagalo” ( 1968) de Hady Mohamed Giumale.

Dans les années 1980, de nouvelles œuvres sont venues enrichir le cinéma somalien parmi lesquelles “The Somali Derwish” (1983) de Said Salah Ahmed ; “The Parching Winds Of Somalia” (1984) de Charles Geshekter.

Quelques réalisateurs somaliens ont été récompensés lors de festivals du film internationaux notamment le prix du meilleur court-métrage) du réalisateur Abdulkadir Ahmed Said « Geedka nolosha » (L’arbre de vie, 1988) lors du Festival international du film de jeunesse de Turin.

Il faut également souligner la nouvelle dynamique impulsée à la création cinématographique à partir des années 1990 et 2000 grâce à Somaliwood (le surnom de l’industrie cinématographique de Somalie) née à Columbus, dans l’Ohio (États-Unis), où vit une importante diaspora somalienne. L’un des pionniers de Somaliwood Abdisalam Aato a inspiré de nombreux réalisateurs de son pays qui ont proposé des intrigues, des techniques de production et des stratégies publicitaires innovantes basées sur l’art du conte du peuple somalien. Sa maison de production, Olol Films, basée à Columbus, lui a permis de produire plusieurs longs-métrages et documentaires, dont Rajo (2013). D’autres membres de la diaspora, comme l’Américano-Somalienne Idil Ibrahim, réalisatrice, productrice, actrice et écrivaine indépendante ou la réalisatrice et productrice Alisha Ilhaan Boe qui habite à Oslo, en Norvège, sont actifs dans le circuit international du film indépendant.

La Somalie n’a élaboré aucune politique cinématographique. Cependant, il y’a quelques années, le pays a engagé de profondes réflexions, grâce à l’appui de l’UNESCO, sur la politique culturelle nationale. L’Académie des sciences et des arts (SOMASA), en collaboration avec la Commission nationale somalienne pour l’UNESCO et la Délégation permanente de la Somalie auprès de l’UNESCO avaient engagé une réunion de consultation nationale avec des experts nationaux et internationaux et d’autres acteurs clés du secteur culturel afin d’élaborer un plan stratégique national pour la sauvegarde et la promotion du patrimoine culturel matériel et immatériel.

Les mécanismes de financement public n’existent pas. Les productions sont le résultat de l’engagement des réalisateurs qui financent eux-mêmes leurs projets ou le plus souvent, sollicitent l’appui d’ONG ou d’organismes de financement à l’exemple du Fonds SANAD d’aide au développement et à la production lancé par le Festival du Film D’Abou Dhabi. Son objectif est d’encourager le cinéma indépendant et le cinéma d’auteur, soutenir les réalisateurs du monde arabe dont fait partie la Somalie. Ce soutien a permis à de nombreux réalisateurs somaliens de renforcer leurs capacités techniques, de bénéficier de subventions, d’ateliers d’écriture de scenarios.

Malgré les nombreuses difficultés, l’Etat a cherché à sortir le cinéma de sa longue léthargie. Le Festival de Cinéma Panafricain et Arabe, manifestation annuelle organisée par l’Agence Cinématographique Somalienne, était l’expression de cette volonté politique. Mais, depuis son arrêt en 1987, aucune autre manifestation culturelle de cette dimension n’a pu se tenir. Pas même le FilmAid Film Festival qui se tient dans le camp de réfugiés somaliens de Daadab dans le Nord du Kenya qui promeut le travail de jeunes réalisateurs vivant dans ce camp. Un travail de promotion du cinéma somalien est nécessaire afin de sortir des sentiers battus. Un véritable travail de Sisyphe dans un contexte de menace existentielle pour ce pays où les établissements d’enseignement public et privé ne proposent pas de programmes spécifiques dédiés au cinéma ou aux études audiovisuelles. Les Universités publiques comme l’Université de Somalie (UNISO), l’Université Nationale de Somalie et celle d’Hargeissa dans le Somaliland proposent des cursus en communication qui comprennent des cours surf les relations publiques, le journalisme et les médias.

Nouhoum Keita


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