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CPI - Côte d’Ivoire : le procès Gbagbo en cinq questions
mercredi 27 janvier 2016, par
Laurent Gbagbo, 70 ans, ex-président de Côte d’Ivoire, est jugé par la Cour pénale internationale à partir du 28 janvier. Les tenants et les aboutissants de son procès.
Le procès de l’ex-président Laurent Gbagbo s’ouvre ce jeudi devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, aux Pays-Bas, cinq ans après la fin de la crise post-électorale. En 2012 au moment de la mise en accusation de l’ex-président ivoirien, la procureur de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, affirmait que « les preuves de l’accusation montreront que Laurent Gbagbo et ses proches ont adopté une politique visant à le maintenir au pouvoir par tous les moyens, y compris par la force létale. [Nous] montrerons que M. Gbagbo et les forces qu’il contrôlait ont été responsables de morts, de viols, de détentions arbitraires contre des citoyens soupçonnés d’être pro-Ouattara ». Pour étayer ses preuves, le bureau de la procureur s’appuie sur quatre événements : la répression des manifestants pro-Ouattara qui voulaient prendre la RTI (Radio télévision ivoirienne) fin 2010, deux attaques sur le quartier d’Abobo à Abidjan en mars 2011, et un dernier assaut lancé par ses partisans au lendemain de l’arrestation de Laurent Gbagbo. En tout, l’accusation pointe la responsabilité de l’ancien président dans 166 meurtres et 34 viols.
Qui sont les protagonistes du procès ?
Laurent Gbagbo, 70 ans, est accusé d’avoir fomenté et mis en oeuvre un « plan » afin de rester au pouvoir après l’élection en novembre 2010 de son rival et actuel président Alassane Ouattara. Un de ses proches, Charles Blé Goudé, 44 ans, est à ses côtés sur le banc des accusés. Alors qu’il est au pouvoir depuis 10 ans, Laurent Gbagbo refuse de céder le pouvoir à Alassane Ouattara, reconnu vainqueur de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010 par l’Union européenne, les États-Unis et la France. Les violences qui suivent s’étalent sur cinq mois et provoquent la mort de plus de 3 000 personnes. Laurent Gbagbo sera finalement arrêté en avril 2011 après plusieurs jours de bombardements de la force française Licorne. Laurent Gbagbo, qui a souffert du syndrome du stress post-traumatique et dont la santé est « fragile », selon ses avocats, était devenu en 2011 le premier ancien chef d’État livré à la CPI. Charles Blé Goudé, lui, n’a été transféré à La Haye qu’en 2014. Simone Gbagbo, épouse de Laurent, a été condamnée à 20 ans de prison en Côte d’Ivoire pour son rôle dans la crise, en compagnie de 78 autres personnes. Aucun membre du camp Ouattara n’a encore été inquiété par la CPI, le bureau de la procureur évoquant « une stratégie d’enquête ». Reporté à plusieurs reprises, ce procès est attendu par les partisans de Ouattara comme par les fidèles de Gbagbo, d’autant qu’elle repose la question cruciale des rapports entre justice et réconciliation.
Charles Blé Goudé est un des membres les plus connus du clan Gbagbo. Il a été surnommé le « général de la rue » pour sa capacité à mobiliser les partisans de l’ex-président ivoirien. À la chute de son mentor, et après cinq mois de violences qui ont fait plus de 3 000 morts, il s’enfuit au Ghana, d’où il dénonce les dérives « dictatoriales » d’Alassane Ouattara. En novembre 2011, il qualifie Laurent Gbagbo de « victime que l’on tente de présenter comme le bourreau » quand celui-ci est livré à la Cour pénale internationale. Un an plus tard, il est arrêté au Ghana. La CPI l’inculpe de quatre chefs d’accusation de crimes contre l’humanité - meurtre, viol, persécution et autres actes inhumains -, commis entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011.
Qui est Fatou Bensouda, la procureur de la Cour pénale internationale ?
Fatou Bensouda, Gambienne de 55 ans, est sous le feu des projecteurs depuis le 15 juin 2012, et sa prise de fonction comme procureur de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye où elle a été élue par consensus le 12 décembre 2011. Titulaire d’une maîtrise en droit maritime international et en droit de la mer de l’université de Lagos, ce qui lui vaut d’être le premier expert en droit maritime international de Gambie, elle occupait le poste de procureur adjoint chargé des poursuites de la CPI jusqu’en mai 2012 aux côtés de Luis Moreno-Ocampo. Plus tôt dans sa carrière, elle a occupé les postes de conseiller juridique et de substitut du procureur au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) à Arusha (Tanzanie), où elle s’est hissée au rang de conseillère juridique principale et de chef du service des avis juridiques. Un tournant dans le parcours de l’illustre juriste qui se rend à cette époque sur tous les terrains de guerre en Afrique. Fatou Bensouda est très attendue dans ce procès inédit, tant par la communauté internationale que par le continent africain, où on accuse la Cour de ne s’attaquer qu’aux Africains.
Qui siégera en salle d’audience ?
Le procès de Laurent Gbagbo est le premier à s’ouvrir dans les nouveaux bâtiments permanents de la CPI, où elle a déménagé en décembre. Ces bâtiments modernes sont nichés dans des dunes artificielles à Scheveningen, quartier balnéaire de La Haye, à quelques centaines de mètres à peine du centre de détention de la CPI, réduisant considérablement la durée du trajet pour les accusés. Entourés par un canal, ils sont en outre protégés grâce à des mesures de sécurité drastiques incluant des portes à tambour en verre blindé. Les nouvelles salles d’audience ont notamment été conçues afin que les témoins ne puissent être vus à aucun moment depuis la galerie du public. Trois juges décideront du sort de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé : le président de chambre, l’Italien Cuno Tarfusser, sera entouré de la Dominicaine Olga Herrera Carbuccia et du Trinidéen Geoffrey Henderson. L’équipe de défense de Laurent Gbagbo est menée par l’avocat français Emmanuel Altit. Celle de M. Blé Goudé l’est par le Néerlandais Geert-Jan Knoops. Les deux accusés seront présents en salle d’audience. L’accusation est emmenée par la procureur Fatou Bensouda, qui sera présente à l’ouverture du procès, mais sera représentée la plupart du temps par le Canadien Éric MacDonald, chargé du dossier. Sept cent vingt-six personnes ont été autorisées à participer à la procédure en qualité de victime, par le biais de représentants légaux. Les victimes peuvent prétendre à des réparations.
Que prévoit la procédure ?
La CPI est la première Cour pénale internationale permanente et son fonctionnement est régi par son traité fondateur, le statut de Rome, entré en vigueur le 1er juillet 2002. Elle juge des crimes spécifiques tels que les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, les crimes de génocide. Après les déclarations liminaires de l’accusation, des représentants des victimes et des équipes de défense, jeudi et vendredi, le bureau du procureur devrait débuter en présentant ses preuves dès le 1er février. L’accusation assure disposer jusqu’à présent de 138 témoins, mais ils ne seront pas tous appelés en audience. La présentation des 5 300 éléments de preuve de l’accusation, dont environ 300 extraits vidéo, devrait durer un an et demi et sera suivie de celle des dossiers de la défense, pour laquelle aucune date n’a été fixée. Le procès sera clos par les réquisitoires et plaidoiries, après quoi les juges se retireront pour délibérer. En cas de verdict de culpabilité, les juges prononceront à un stade ultérieur une peine de prison pouvant aller jusqu’à 30 ans, voire plus en cas de crimes "très graves’
Qui pourra voir le procès ?
La galerie du public de la CPI compte quelque 75 sièges. Des caméras permettent en outre de retransmettre le procès en anglais et en français sur Internet via le site de la CPI. La retransmission aura lieu avec un décalage de 30 minutes, donnant le temps à la CPI de censurer des images si, par exemple, le nom d’un témoin protégé venait à être mentionné. La CPI s’arrange généralement pour atteindre le plus grand nombre de personnes possibles dans les pays concernés, notamment en organisant des diffusions auprès des victimes. La galaxie Gbagbo s’est aussi organisée de son côté pour suivre le procès. De nombreux partisans ont fait le déplacement à La Haye. Pour les autres, une chaîne web vient d’être créée, dénommée Laurent Gbagbo Télévision (LGTV), est disposant aussi d’une application télé. Mise en place au Ghana avec d’importants moyens, elle comporte quatre studios à partir desquels des analystes interviendront en français et en anglais.
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