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Afrique du Sud : Avenir incertain de l’après-Mandela pour l’ANC

lundi 23 décembre 2013, par Assane Koné

Nelson Mandela, ce géant de l’histoire s’en est allé pour toujours. Le 15 décembre 2013, des funérailles d’Etat lui ont été réservées devant un parterre d’illustres hommes d’Etat et de personnalités du cinéma, de la culture du monde entier venus à Qunu son village d’enfance.

Avant ces ultimes hommages, il y’a eu celui du stade de Soweto où plus de 100 Chefs d’Etat ou de Gouvernement se sont donnés rendez-vous en présence de 60.000 sud-africains qui avaient pris d’assaut les gradins pendant qu’il pleuvait des cordes. Les nombreux dirigeants qui se sont relayés à la tribune ont vanté le parcours historique de Nelson Mandela. Un parcours fait de sacrifice, d’abnégation, de résistance de la prison de Robert Island et de Pools Moor à la fin de l’odieux système de l’apartheid, puis à son accession à la magistrature suprême de son pays en 1994.
Mandela et ses illustres compagnons comme Walter Sisulu, Albert Luthuli, Oliver Tambo, Govon M’Béki rêvaient d’une Afrique du Sud libre, multiraciale. Pour y parvenir, ils ont forgé un instrument de lutte appelé l’ANC (Congrès National Africain). Son objectif politique était de détruire complètement le système d’apartheid qui avait concentré l’immense pouvoir politique et économique entre les mains de la minorité blanche, procéder à une juste redistribution de la richesse nationale, réaliser la réforme agraire, nationaliser les banques et instaurer une justice sociale en mettant fin aux inégalités sociales criardes. Avec ses alliés qu’étaient le Parti Communiste Sud-Africain et le Congrès des Syndicats Sud-Africains (COSATU), l’ANC avait à cœur de réaliser ce programme de transformation politique, économique et sociale indispensable pour construire une nouvelle Afrique du Sud. Malheureusement, ce rêve est loin d’être une réalité : A la fin officielle de l’Apartheid en 1991, une majorité de 40 millions de noirs, soit 75% de la population du pays vivaient une misère effroyable. Selon l’indice de développement humain du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), en 15 années, l’Afrique du Sud a reculé de 35 places dans le classement (1990-2005) traduisant ainsi l’appauvrissement général de la population noire d’Afrique du Sud.
En dix ans, le nombre de personnes vivant en dessous du seuil d’extrême pauvreté a doublé, passant de 1,9 à 4,2 millions, soit 8,8% de la population. Près de 40% des villes en Afrique du Sud sont composées de townships et cette ségrégation géographique des lieux de résidence entre les riches blancs et les pauvres noirs est très visible et elle est à l’origine des tensions entre les deux classes sociales. En Afrique du Sud, les riches afrikaners vivent reclus dans des maisons forteresse ou dans des quartiers fortifiés. Plus de 43% de la population vit avec moins de 260€uros par an. Selon l’Organisation internationale du travail, le chômage serait à un taux officiel de 23,2%, mais les syndicats l’estiment proches de 40%. Pour l’Organisation Internationale du Travail (OIT), la crise de l’emploi est définie selon des critères raciaux en raison du fait qu’en 2010, 29,80% des noirs étaient officiellement au chômage, contre 22,30% de métis, 8,60% d’asiatiques et seulement 5,10% de blancs. Environ 12 millions de personnes avec moins de 0,25 dollars par jour, tandis que 16 millions de sud-africains reçoivent des allocations sociales sur une population totale du pays estimée à plus de 50 millions.
A ce tableau sombre, il faut ajouter l’insécurité et la violence urbaine avec son lot de viols, de vol à main armée, de cambriolages, de vols de véhicules... On recense 31,3 meurtres par 100.000 habitants en 2012/13 soit 45 meurtres par jour en moyenne faisant figurer l’Afrique du Sud parmi la liste peu enviable des pays les plus violents du monde.
Dans le domaine de la santé, l’épidémie du VIH –Sida touche 18,8% de la population soit 5,5 millions de personnes causant 900 morts par jour en 2005 selon les Nations-Unies.
Si le pouvoir politique a été conquis de haute lutte, celui du pouvoir économique ne l’a pas été. Mandela lui-même en avait conscience. Durant les 5 années de son mandat, il s’était engagé dans une difficile réconciliation nationale, évitant de fait une confrontation avec les intérêts de la minorité blanche. Au contraire, on n’assista à la naissance d’une bourgeoisie noire compradore, assoiffée de prébendes et travaillant d’arrache-pied pour obtenir une position privilégiée dans le système de gestion mis en place par l’ANC qui a tourné le dos au programme politique qu’il s’était donné conformément à la Charte de la liberté qu’il avait adopté. Et pour n’avoir pas répondu aux aspirations de l’immense majorité de la population noire, le parti au pouvoir a fait face à de nombreuses explosions sociales et aux critiques les plus virulentes de son allié la COSATU. Le départ de Nelson Mandela à la tête de l’Etat en 1999 et l’arrivée de Tabon Beki son successeur a ouvert la voie aux contradictions au sein de la direction de l’ANC en proie à des luttes de tendance sur fond d’accusation de corruption, de malversations financières, de trafic d’influence etc.
Le premier sérieux accroc fut le combat des éléphants Jacob Zuma et M’Béki qui a eu lieu en 2008 et qui a abouti à la démission contrainte du second à la tête du Parti. Ses anciens partisans menés par l’ancien ministre de la Défense Patrick Lekota créent le Congrès du Peuple. En 2012, ce fut autour de l’enfant terrible de la Ligue de la Jeunesse de l’ANC Julius Maléma de quitter le navire et de créer un mouvement de gauche radical, anticapitaliste, anti impérialiste dénommé EFF (les combattants pour la liberté économique) qui revendique la nationalisation des mines et la réforme agraire sur la base d’une expropriation sans compensation des fermiers blancs.
La tuerie de 34 mineurs noirs en grève le 13 août 2012 dans la mine de Platine de Lonmin à Marikana suite à un assaut sanglant de la police a prouvé que les racines de l’apartheid économique demeurent. L’impuissance de l’ANC à donner corps à la lutte des forces sociales contre les multinationales qui régentent l’économie du pays le condamne irrémédiablement à opérer une profonde remise en cause de ses choix politiques. Sinon, le parti coure le risque d’une déchirure qui sonnera le glas des espérances de ses partisans. L’évocation permanente de Mandela n’y changera absolument rien.

Nouhoum Keita

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