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Sarkozy en garde à vue : l’affaire des écoutes, un dossier hors normes

mardi 1er juillet 2014, par Assane Koné

Un ancien chef de l’Etat, une star du barreau de Paris, un grand commis de la magistrature, de discrets magistrats financiers, une polémique entre le gouvernement et l’opposition : l’affaire des écoutes, qui a conduit mardi à une garde à vue historique pour Nicolas Sarkozy, une première pour un ex-président de la République, est une affaire tentaculaire.

Tout commence avec le placement sur écoute des téléphones de Nicolas Sarkozy dans le cadre d’une enquête sur un éventuel financement libyen de sa campagne de 2007. Dans des conversations avec son avocat, les enquêteurs le suspectent de vouloir obtenir des informations dans le dossier Bettencourt.

Les domiciles et bureaux de Me Thierry Herzog, avocat de Nicolas Sarkozy, et du haut magistrat à la Cour de cassation Gilbert Azibert sont perquisitionnés dans le cadre d’une information judiciaire ouverte le 26 février pour trafic d’influence et violation du secret de l’instruction.

Selon Le Monde, l’ex-président et son avocat sont soupçonnés d’avoir sollicité M. Azibert pour avoir des renseignements sur la procédure Bettencourt à la Cour de cassation. En échange, le magistrat aurait demandé que l’ex-chef de l’Etat soutienne sa candidature à un poste à Monaco. Me Herzog dément tout trafic d’influence.

L’affaire éclabousse le sommet de l’Etat

L’affaire prend un tour politique. Des centaines d’avocats dénoncent une atteinte au secret professionnel. La garde des Sceaux, Christiane Taubira, assure avoir appris l’existence des écoutes à la lecture du Monde. François Fillon réclame lui une commission d’enquête parlementaire. Le président de l’UMP, Jean-François Copé, demande si François Hollande était « oui ou non au courant ».

Le Canard Enchaîné assure que le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, et Mme Taubira disposaient depuis le 26 février d’informations sur les écoutes. Le Premier ministre d’alors, Jean-Marc Ayrault, reconnaît que l’exécutif connaissait leur existence, mais « pas leur contenu ».

La garde des Sceaux répond qu’elle ignorait « la date, la durée et le contenu » des écoutes, dont elle a été informée le 28 février et n’en avoir rien dit au président Hollande, se contentant d’informer le Premier ministre. Le 13 mars, Christiane Taubira admet s’être « trompée de dates ».

Retour sur le dossier judiciaire. Mediapart publie des extraits de sept écoutes judiciaires de conversations entre Sarkozy et son avocat dans lesquelles ce dernier qualifie notamment de « bâtards de Bordeaux » les juges qui avaient mis en examen l’ex-président dans l’affaire Bettencourt, avant qu’il bénéficie d’un non-lieu.

Alors que Me Herzog annonce une plainte pour violation du secret de l’instruction, Nicolas Sarkozy sort de son silence et dénonce dans le Figaro « des principes de la République foulés au pied », faisant allusion aux méthodes de la Stasi. « Toute comparaison avec des dictatures est forcément insupportabl », lui répond François Hollande.

Lundi 30 juin, l’affaire rebondit. Me Herzog et les deux hauts magistrats Gilbert Azibert et Patrick Sassoust sont placés en garde à vue. Nicolas Sarkozy est à son tour placé en garde à vue à l’office anti-corruption de la PJ, une première pour un ancien chef de l’Etat.

Les protagonistes de l’affaire

Nicolas Sarkozy, 59 ans. Il est le premier ancien chef d’Etat de l’histoire en garde à vue. Battu à la présidentielle de 2012, sa volonté d’effectuer son retour politique tourne au secret de Polichinelle. Si le trafic d’influence devait être finalement démontré, il en aurait été un bénéficiaire potentiel.

Les policiers cherchent à établir s’il a tenté d’obtenir illicitement, via son avocat Me Thierry Herzog, des informations couvertes par le secret sur une décision attendue de la Cour de cassation dans l’affaire Bettencourt. La haute juridiction devait se prononcer sur la validité de la saisie de ses agendas présidentiels, qu’il contestait. Leur contenu était susceptible d’intéresser des magistrats enquêtant dans d’autres dossiers, notamment l’arbitrage Tapie.

Thierry Herzog, 58 ans. Il connaît Nicolas Sarkozy depuis plus de 30 ans. Les deux hommes se sont liés aux confins des années 1970 et 1980 quand ils embrassaient la profession d’avocat. Me Herzog a été de tous les combats judiciaires de son ami, le représentant dans le scandale Clearstream (où Nicolas Sarkozy était partie civile) et obtenant son non lieu dans l’affaire Bettencourt.

Outre les affaires politico-financières, il est un habitué des dossiers de grand banditisme. Me Herzog est une star parmi les avocats pénalistes de Paris. Quand il a été visé par des perquisitions qui lui valent aujourd’hui sa garde à vue, il a reçu le soutien appuyé de nombreux confrères, Hervé Temime, Eric Dupond-Moretti ou encore Jacqueline Laffont. Il est en garde à vue depuis lundi.

Gilbert Azibert, 67 ans. Ce haut magistrat a une image de magistrat clairement marqué à droite. Il fut considéré comme un garde des Sceaux bis quand dirigeait le cabinet de Rachida Dati. Si elle a lui a valu de solides inimitiés, sa carrière fut brillante, jusqu’à ce qu’il trébuche à la dernière marche, battu par l’ancien procureur de Paris, Jean-Claude Marin, pour le poste très convoité de procureur général près la Cour de cassation.

Il est aujourd’hui avocat général dans une chambre civile de la haute juridiction. Les enquêteurs tentent de déterminer s’il a été tenté de fournir des informations, qu’il n’était pas censé détenir, au camp Sarkozy en échange de la promesse d’un poste de prestige à Monaco, point d’orgue d’un parcours jusqu’alors sans accroc.

Patrick Sassoust, 55 ans. Jusqu’à son placement en garde à vue lundi, cet autre avocat général à la Cour de cassation n’était pas apparu dans le radar médiatique. Mais à l’inverse de Gilbert Azibert, il est affecté à la chambre criminelle, chargée du dossier Bettencourt. Est-il le chaînon manquant, celui qui aurait été susceptible d’informer Azibert ?

Les juges financiers. Le dossier pour trafic d’influence et violation du secret de l’instruction est instruit par Patricia Simon et Claire Thépaut. Cette dernière est l’ancienne patronne du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche), ce qui lui a valu des critiques de la droite. Au pôle financier du TGI de Paris, Renaud van Ruymbeke, Roger Le Loire, Serge Tournaire et Guillaume Daïeff travaillent sur plusieurs enquêtes qui empoisonnent le camp Sarkozy : sondages de l’Elysée, accusations de financement libyen, Bygmalion, arbitrage Tapie...

Les avocats. Ils sont montés au créneau quand leur confrère Thierry Herzog a été perquisitionné et beaucoup se sont offusqués qu’aient pu être écoutées ses conversations avec son client Nicolas Sarkozy (c’est ce dernier qui avait été placé sur écoute). Ils ont aussi mis en garde contre toute perquisition de leur barreau. Car les enquêteurs se demandent si ce n’est pas par ce biais que le camp Sarkozy a été informé du placement sur écoute de l’ancien chef de l’Etat, également avocat. En effet, le barreau doit être informé d’une telle mesure. Il était donc dans la boucle.

LeParisien.fr

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