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Réforme foncière : Ménage dans un secteur à problèmes
jeudi 11 juin 2015, par
Prévue pour la période 2014-2018, selon le programme de gouvernance, la réforme foncière entend faire le ménage dans un secteur à problèmes.
La gestion du foncier au Mali a toujours été l’objet de controverses. Des conflits autour de la terre ont souvent entraîné mort d’hommes, dans les zones rurales, périurbaines et urbaines.
« A la justice, 80% des dossiers concernent le foncier. C’est un domaine à problèmes, il faut le nettoyer. Et les spéculateurs sont souvent de connivence avec des agents des domaines de l’Etat. Tous les agents impliqués seront poursuivis. », laisse entendre Sylvestre Kamissoko, chargé de Communication au ministère des domaines de l’Etat et des Affaires foncières.
Ce département vient de déposer une plainte contre X, après avoir annulé à Kati l’attribution de 600 hectares de titres fonciers, et enjoint aux occupants de l’emprise des rails de casser les bâtiments qui ont débordé.
C’est pour assainir le secteur et jeter les bases d’une nouvelle gouvernance du foncier que le Président Ibrahim Boubacar Keïta a demandé une réforme.
Issue des travaux d’un comité interministériel, la réforme a été adoptée en conseil des ministres le 22 octobre 2014, puis présentée aux partenaires techniques et financiers.
La gestion du système en ligne de mire !
Les objectifs de la reforme sont nombreux. Il s’agira entre autres de sécuriser les droits sur la terre et ses occupants. Une sécurisation nécessaire à la paix, en considération des conflits générés par le foncier.
« Au Mali, on a besoin de consolider l’Etat et renforcer la confiance que les citoyens peuvent avoir dans les institutions de l’Etat. La question foncière est au cœur de la reconstruction de l’Etat », explique Juliette Coulibaly Paradis, Urbaniste et Conseillère Technique au titre de la Coopération française au ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières.
Elle ajoute qu’à cause de la gestion qui en est faite aujourd’hui, la terre ne rapporte pas de bénéfices à l’Etat, surtout qu’il n’y a pas une fiscalité sur le foncier. De là la nécessité d’avoir une taxe foncière qui contribuerait aux recettes publiques.
« Une meilleure stratégie de gestion de cette ressource qu’est le foncier, ne doit pas seulement être basée sur le terrain mais aussi sur la fiscalisation », poursuit-elle.
La reforme permettra une clarification de la gestion de l’administration foncière, en la modernisant, renforçant ses capacités, l’accompagnant dans le changement. Des outils tel que le Système d’information foncière (SIF) permettront de récupérer les données de la conservation foncière.
Évaluée financièrement à 30 milliards de francs CFA, elle devrait rapporter à l’horizon de 2019 des recettes annuelles de 20 milliards FCFA.
Le foncier cristallise les rancœurs et les aigreurs
Le ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires Foncières a rencontré le jeudi 04 juin 2015 les Directeurs régionaux et les Chefs des Bureaux des Domaines et du Cadastre au Centre International de Conférence de Bamako.
L’objectif de cette rencontre, selon le Ministre, était de partager avec eux non seulement sa vision de la politique domaniale et foncière mais aussi le changement qu’il faut entreprendre pour stabiliser le front social au motif que la grande partie des plaintes des concitoyens porte sur le foncier.
Ceux qui sont en charge ce dossier méritent d’être écoutés, impliqués dans la gestion des problèmes, a précisé le Ministre BATHILY.
Les conflits fonciers deviennent récurrents, tenaces. Ils représentent, après la guerre au nord, la plus sérieuse menace pour l’Etat du Mali, a-t-il averti.
Il importe et il urge de partager la conscience du danger du foncier, a-t-il soutenu car la plupart des décisions prises par les gestionnaires du foncier (autorités régionales et locales) suscitent des controverses et les documents établis par leurs soins sont contestés.
Le nombre de titres fonciers au Mali contestés est effarant. Ces responsables devraient travailler en toute honnêteté pour fixer les garanties de la sécurisation des titres et éviter les multiples contestations en respectant les règles et procédures d’établissement des TF. « Le foncier cristallise les rancœurs et les aigreurs. Prenons garde », a-t-il conseillé.
Il a aussi rappelé l’histoire récente qui s’est produite à Magnambougou où la Mairie du District, à titre de régularisation, a émis un titre foncier en 2013 sur une concession habitée depuis 1978, avant de montrer son étonnement en indiquant que si l’institut géographique du Mali avait été consulté et une enquête avait été faite, cela ne serait pas arrivé.
La régularisation, si elle devait être opérée, interviendrait normalement au profit de la personne qui continuait à exercer le droit d’habitation, plutôt qu’à un inconnu qui n’a jamais habité cette concession.
Il est plus facile de s’asseoir dans un bureau pour créer des titres sans se donner le temps d’aller vérifier sur le terrain, martèle Maître BATHILY.
La rencontre a également permis aux responsables présents d’exposer les différents problèmes qu’ils rencontrent dans l’exécution de leurs services.
Les problèmes sont presque similaires. Que ça soit à Kayes, Koulikoro, Ségou, Sikasso, Tombouctou et Gao, les problèmes soulignés par les responsables portent généralement sur les attributions illicites, les occupations des servitudes, les conflits de compétences avec la Mairie ou d’autres services administratifs, des problèmes de titres fonciers contestés entrainant même souvent des atteintes à l’ordre public.
Les services des Domaines et du Cadastre des Régions du Nord du Mali ont signifié la singularité de leur situation. Le moindre de leurs maux est le manque de personnels par exemple à Tombouctou dont le Directeur régional des Domaines et du Cadastre sollicite la visite du Ministre sur le terrain.
Cet avis avait déjà été partagé par le Ministre qui manifeste son désir d’aller dans ces Régions, comme dans les autres, pour vérifier la réalité des contestations qu’il reçoit quotidiennement dans son bureau et la régularité des actes administratifs accomplis.
Le Ministre Mohamed Ali BATHILY a exprimé sa détermination à accomplir la volonté du Président de la République et du Gouvernement qui ont souci du citoyen malien, du paysan comme du citadin.
« Ailleurs, la terre enrichit ; elle concourt au PIB du pays. Au Mali, la terre appauvrit ; elle contribue à la paupérisation des paysans et à la précarité de la situation sociale des citadins », a-t-il regretté.
Le Ministre a marqué sa ferme résolution à annuler ou faire annuler tout acte administratif irrégulièrement émis dans le domaine de sa compétence et à assurer la protection des intérêts de l’Etat contre les spéculateurs et les spoliateurs fonciers.
Le Ministre a prévenu : « nous ne nous satisfaisons pas de nous défendre contre les attaques dirigées contre nos actes de retrait des parcelles irrégulièrement attribuées ou non mises en valeur. Nous sommes décidés à attaquer au pénal tous les auteurs et complices des infractions de coalition de fonctionnaires contre la constitution et le fonctionnement des institutions, de disposition de bien d’autrui, et de toutes les infractions au code domanial et foncier ».
Le Ministre BATHILY a conclu sur une note d’assurance : les usagers et administrés changeront d’opinion sur les gestionnaires du foncier dès que ceux-ci auront changé de comportement. Ce changement est impératif pour prévenir les troubles sociaux et contribuer à sauvegarder l’Etat du Mali.
Bréhima Sogoba