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Burkina Faso : Roch Kaboré, président du changement dans la continuité

mardi 29 décembre 2015, par Assane Koné

Issu d’un processus électoral exemplaire, le nouveau président du Burkina Faso a prêté serment en présence de nombreux chefs d’Etats et de gouvernements de la sous-région. Premier président élu de l’histoire du Pays des hommes intègres marquée par de nombreux coups d’Etat, Roch Marc Christian Kaboré est pourtant un ex-baron du régime Compaoré qui a été renversé suite à une insurrection générale en 2014. Populaire et consensuel, l’homme saura-t-il se renouveler pour répondre aux aspirations de la jeunesse qui a mis à terre son ancien mentor ?

Le palais de Kosyam a désormais un nouveau locataire. Vainqueur de l’élection présidentielle du 29 novembre qu’il a remportée dès le premier tour avec un score historique de 53%, le nouveau président du Burkina Faso a la réputation d’être un homme de dialogue, consensuel et capable de s’élever au-dessus des intérêts partisans. Cela tombe bien car du président Roch Marc Christian Kaboré qui prend les rênes du pouvoir 14 mois après la puissante insurrection populaire qui a renversé l’ancien régime et a poussé à la fuite son leader Blaise Compaoré, on attend qu’il réconcilie les Burkinabè et les aide à tourner l’une des pages les plus turbulentes de leur histoire.

Ce ne sera peut-être pas chose facile pour quelqu’un comme Roch Kaboré, 58 ans, qui est aussi marqué par le passé. Paradoxalement, l’insurrection d’octobre 2014 qui a profondément bouleversé la vie politique burkinabè, n’a pas permis de faire émerger des leaders politiques neufs, laissant le champ libre aux partis traditionnels. Aussi, le nouveau président que les Burkinabè ont élu n’a-t-il de nouveau que le nom.

Le président Kaboré n’est pas en effet un nouveau venu dans les allées du pouvoir au Burkina. Il est bien connu des populations pour avoir été un fidèle de l’autocrate Blaise Compaoré pendant trois décennies, occupant plusieurs fonctions importantes avant de quitter le navire tout juste dix mois avant qu’il ne coule définitivement. Un départ dicté essentiellement par opportunisme et par dépit, si l’on croit les détracteurs du nouveau président. L’homme avait en effet été progressivement écarté des instances décisionnelles du pays et du parti pour s’être opposé à la réélection anti-constitutionnelle du « Beau Blaise » en 2015, après l’avoir soutenue. C’est toute l’ambiguïté du nouvel homme fort d’Ouagadougou, issu de l’élite burkinabè qui gouverne le pays depuis l’indépendance. Renversée par la rue, puis rappelée au pouvoir par ceux-là mêmes qui l’avaient mise en cause, cette élite est condamnée à faire peau neuve pour ne pas retomber dans ses travers du passé. Des travers qui ont pour nom impunité, mal-gouvernance, corruption…

C’est donc en proposant le changement dans la continuité que Roch Kaboré s’est fait élire à la présidence. Pendant la campagne électorale, l’homme avait mis en avant sa longue expérience de la gestion des affaires de l’Etat, faisant habilement oublier sa proximité avec le régime déchu. Tout le monde apparemment n’avait pas oublié, puisque son rival le plus sérieux Zéphirin Diabré, venu deuxième à la présidentielle avec 21,65% des suffrages, a fait un tabac avec son slogan de campagne, « C’est même pipe, même tabac, même chose », accusant son adversaire de vouloir faire du Compaoré sans Compaoré. Un avertissement qui n’a pas empêché le président élu de remporter le scrutin par un « coup KO », comme on appelle une victoire électorale dès le premier tour en Afrique de l’Ouest.

Instinct de survie

Fin stratège, Roch Marc Christian Kaboré a appris la politique dans le berceau. Né en 1957, ce catholique pratiquant, issu de l’ethnie majoritaire du Burkina, les Mossis, est le fils d’un ancien ministre des Finances dans le premier gouvernement voltaïque (le Burkina s’appelait encore la Haute-Volta) après la colonisation. Si les récits de son père l’ont initié très tôt aux us et coutumes de la vie politique nationale, les premiers engagements personnels du jeune Kaboré datent du milieu des années 1970 lorsqu’il débarque en France pour poursuivre ses études universitaires. Il s’implique étroitement dans l’activisme syndical estudiantin, tout en préparant à l’université de Dijon une maîtrise en sciences économiques, puis un diplôme d’études supérieures spécialisées en (DESS) en gestion.

Séduit par les idées de la gauche radicale, le jeune homme milite, à son retour au pays en 1984, au sein du parti marxiste l’Union de lutte communiste reconstruite (ULC-R), qui avait soutenu la prise de pouvoir à Ouagadougou par Thomas Sankara. Proche du gouvernement révolutionnaire que dirige ce dernier, le futur président Kaboré se fait alors connaître en devenant à 27 ans le plus jeune directeur de la Banque internationale du Burkina (BIB). Mais après l’assassinat de Sankara, alors que les marxistes sont poursuivis par les hommes de Blaise Compaoré qui avaient pris le pouvoir, il se rallie opportunément au camp des putschistes. Il ira jusqu’à saluer publiquement la « rectification de la révolution » des nouveaux maîtres d’Ouaga, faisant ainsi preuve d’un grand instinct de survie qui n’est sans doute pas étranger au parcours exceptionnel que Roch Marc Kaboré a effectué depuis dans la vie politique burkinabè.

La carrière politique du nouveau président débute véritablement sous le régime Compaoré. Il collectionne les fonctions ministérielles (Transport, Communication, Plan, Finances) et accède à la primature en 1994. Il sera aussi député, Président de l’Assemblée nationale pendant 10 ans, tout en assurant la présidence du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti-Etat de Blaise Compaoré qui rafle toutes les élections. Considéré un temps comme dauphin de son mentor tout-puissant, il est progressivement marginalisé à partir de 2010 lorsque l’entourage proche de Compaoré prend les commandes du parti et organise la vie politique de façon mono-obsessionnelle pour faire aboutir le changement constitutionnel indispensable à la réélection de son chef.

Disgrâce et nouveaux défis

Sa disgrâce a été une chance pour Roch Kaboré qui a su la transformer en un formidable tremplin politique, créant son propre parti, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), en collaboration avec deux autres caciques du régime Compaoré, Salif Diallo et Simon Compaoré. Hommes de réseaux, le trio a mobilisé soutiens et ressources et a utilisé les mêmes méthodes qu’ils avaient expérimentées dans le CDP dont ils furent les principaux architectes dans les années 1990 et 2000, pour asseoir la popularité de leur nouvelle formation.

Le MPP est devenu une formidable machine à gagner les élections et a assuré la victoire de son poulain Roch Marc Christian Kaboré à la présidentielle de novembre 2015. Cette victoire est d’autant plus éclatante qu’elle a réussi à rassembler au-delà des clivages politiques (ancien régime et ses opposants) et socoio-géographiques (villages et villes) habituels. « Moins de deux ans après la création du MPP, nous nous retrouvons dans la position d’être le premier parti du Burkina Faso », s’est félicité le nouveau président, avant de rappeler que ce parti a été implanté « sur toute l’étendue du territoire national ». Suivie par l’Afrique toute entière, cette victoire a été saluée dans le monde entier comme un exemple de la démocratie en marche. Ami de la famille Kaboré, le chef de l’Etat de la Côte d’Ivoire Alassane Ouattara, fut l’un des premiers leaders internationaux à appeler le président élu pour le féliciter.

Malheureusement pour le MPP, les résultats des législatifs ont été moins glorieux, avec une plus grande atomisation du score qu’à la présidentielle. Avec 55 élus sur 127 sièges mis en concurrence, le parti présidentiel n’a pas réussi à obtenir la majorité absolue escomptée, obligeant sa direction à négocier avec les petits partis proches de sa sensibilité social-démocrate pour former une coalition pour gouverner le pays. C’est chose faite, si l’on croit Me Bénéwendé Sankara, le leader charismatique du parti sankariste UNIR, qui a confié à RFI qu’ « une majorité présidentielle composée de 55 députés MPP et de 14 députés des partis alliés dont le nôtre, soutiendra l’action du gouvernement au Parlement ».

Cette entente cordiale n’en révèle pas moins, comme l’écrit le chercheur Daniel Eizenga du Groupe de recherche sur le Sahel, les limites de la stratégie du MPP : « La politique burkinabè sera désormais plus compétitive. L’ère de Blaise Compaoré avec un Etat-parti dominant est derrière nous. Même si les principaux acteurs de la vie politique demeurent les mêmes, leurs stratégies pour gouverner sont appelées à évoluer. »

« Plus rien ne sera comme avant », répète à son tour Guy Hervé Kam, porte-parole de l’organisation de la société civile du Burkina Le Balai citoyen. « Les Burkinabè veulent plus de démocratie, plus de justice, fin de l’impunité et des inégalités sociales », déclare-t-il. Rappelant les promesses du candidat Roch Kaboré, il explique que les attentes sont immenses dans tous ces domaines. « La société civile attend le nouveau gouvernement au tournant, affirme-t-il. Nous espérons que dans les six mois qui suivent l’installation du nouveau président, le dossier de la nouvelle Constitution soit sur les rails. De même, pour le dossier sur le chômage des jeunes et last but not least le dossier de l’extradition de l’ancien président Compaoré pour qu’il soit interrogé par les tribunaux burkinabè. » « Notre système est tout à fait apte à le juger », souligne-t-il.

Si Guy Hervé Kam a été secoué par les rumeurs sur l’envoi des émissaires par le président élu à son prédécesseur pour le rassurer, il veut continuer de croire à la bonne volonté de Roch Kaboré. « C’est vraiment un homme de consensus, quelqu’un qui cherche des compromis plutôt que d’imposer sa décision. »

Et ses défauts : « Il en a trois : son passé, son passé et, encore et toujours, son passé », fuse la réponse.

Par Tirthankar Chanda
http://www.rfi.fr/afrique

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