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Jean Philippe Rykiel, musicien français et aveugle : « J’ai travaillé avec Salif Keita, Youssou N’dour, Lokua Kanza, Papa Wemba,…. et Mory Djely Kouyaté »

mercredi 18 septembre 2013, par Assane Koné

Jean Philippe Rykiel, musicien français et aveugle. Il pourrait être le musicien français qui a le plus côtoyé la musique africaine a travers ses stars. D’arrangement en arrangement, il est parvenu a se rendre incontournable pour tout ce qui se fait de beau et de grand sur le continent et du coté de Paris en terme de musique africaine. Dans cette interview, il rappelle son riche parcours.

Vous êtes dans votre studio situé dans le 14éme arrondissement, est ce pour des recherches personnelles ou vous peaufiner un nouvel opus ?

Je m’amuse un peu car je viens de rentrer de vacances. Je viens de passer 3 semaines chez mes parents dans la campagne : la nature, rien autour. J’ai apporté juste un clavier. Je ne m’en suis pas servi. Voilà, c’était une détente. Je suis entrain de reprendre le boulot progressivement. Je n’ai pas beaucoup touché mes claviers donc mes doigts sont au ralenti là.

Vous êtes non voyant, la cinquantaine bien révolu, 52 ans précisément…

Je préfère qu’on me dise aveugle plutôt que non voyant. Aveugle ça veut dire que les yeux ne fonctionnent pas. Or, non voyant veut dire qu’on ne voit pas. Bon, nous on voit avec tout notre corps. On voit avec les mains, les oreilles, le nez. On voit absolument avec tout sauf les yeux. On est bien voyant. On est aveugle.

Vous êtes aveugle de naissance. Mais, aujourd’hui ingénieur de son, instrumentiste, comment-êtes-vous arrivé à ce niveau ?{{}}

J’ai la chance de vivre dans un pays riche, un pays occidental. Un pays où les handicapés ne sont pas négligés, où le gouvernement fait beaucoup de choses pour eux. Il y a des écoles spécialisées. Il y a du matériel spécialisé. Il y a des aides pour ceux qui n’ont pas assez d’argent pour se payer ce matériel. C’est vraiment importance. En Afrique, on n’a pas la chance malheureusement. La deuxième chance que j’ai eu, ce sont mes parents. Ils ont voulu que je réussisse ma vie et que je ne sois pas considéré comme un handicapé, un mendiant ou que je ne sois pas à la charge des autres mais que je sois quelqu’un qui se bat, qui fait des choses, qui agit et non quelqu’un qui subit. Je ne remercierais jamais assez mes parents de m’avoir donné cette chance, de m’avoir bousculé quelque fois pour que je sois un homme normal.

Vos débuts à la musique…

J’ai toujours été un passionné de musique. Aveugle on est particulièrement sensible au son. J’ai été attiré par la musique depuis tout petit et j’ai eu la chance d’avoir un piano à la maison. Il appartenait à ma grande sœur, mais qui s’en servait pas beaucoup, bien qu’elle prenait des cours de piano. ça ne l’attirait. A cinq ans, j ai commencé à sauter sur le piano et quand ma grande sœur essayait d’approcher, je disais : c’est à moi, c est à moi. Et c’est resté mon instrument. La musique est devenue mon dada. C’est quelque chose qui me passionnait. Toute mon énergie y était consacrée et même dans ma scolarité, les cours de musique étaient primordiaux. Il faut savoir aussi que je n’étais pas un très bon élève.

Vous avez commencé à travailler depuis les années 80 avec des artistes africains tels que Salif Kéita, Youssou N’dour, etc. D’où vous vient cet amour pour les artistes et pour la musique vieux continent ?

Le premier artiste que j’ai rencontré s’appelle Fredua Adjimane. C’est un batteur ghanéen. C’est lui qui m’a fait voyager pour la première fois en Afrique en 1982. Pour ceux qui s’en souviennent, en janvier 1982, il a eu le coup d’état de Jerry Rawlings. En instaurant le couvre feu, notre projet musical est tombé à l’eau. J ai passé un mois dans une famille ghanéenne qui m’a fait découvrir cette vie africaine et cela m’a beaucoup plu. A l’époque, les maisons n’étaient pas fermées. Il n’y avait pas de clôture. Tu trouvais cinq générations sous le même toit, du plus jeune au plus vieux. On mangeait tous dans le même plat avec les mains. On se lavait avec un seul seau. Il n’y avait pas grande chose. Mais, il y avait la bonne humeur. Il y avait la joie. Il y a pleines de choses que je ne trouvais pas en occident. Et, tout ça m’a attiré vers ce continent. Quand je suis rentré à Paris, j’ai voulu rester en contact avec l’Afrique. Mon ami Adjimane m’a mis en contact avec de nombreux musiciens avec lesquels j’ai joué. Les musiciens que j’ai côtoyés, il y avait un guitariste du nom d’Alain Agbo qui m’a présenté quelqu’un qui a changé ma vie. Il s’appelait Prosper Niang. Il est décédé, paix à son âme. C’était le fondateur et batteur du groupe sénégalais Xalam 2. Il était la deuxième monture du groupe. Il m’a fait intégrer au groupe. Il y avait une osmose. C’est lui qui m’a fait rencontrer toutes les stars sénégalaises, même africaines dont Salif Keïta. Notre première rencontre s’est faite dans un studio où il était en répétition. Il m’avait dit qu’il cherchait un arrangeur et c’est dans cette circonstance que je me suis retrouvé à faire trois morceaux de son album «  Soro ». Le premier qu’il a fait en France.

Après cette expérience et tant d’autres collaborations, comment avez vous connu Youssouf N’dour ?

La première rencontre fut dans un studio où nous avons enregistré l’album «  Nelson Mandela  ». Après, on ne s’est pas revu pendant très longtemps. Figurez-vous que c’est grâce à Salif que j’ai revu Youssou N’dour quand il faisait son album « easy open  ». Son manager lui a dit ceci : « pourquoi tu retravaillerais pas avec ce gars que tu aimes et qui avait fait l’album de Salif…  ». Youssou a accepté et son manager m’a appelé. Je me suis retrouvé a Dakar chez lui où j’ai passé trois mois avec ses fabuleux musiciens pour confectionner cet album et celui qui a suivi. On a fait un travail formidable et collectif avec le bassiste et arrangeur Habib Faye et les autres fantastiques musiciens .Chacun apportait des idées. Je me suis bien intégré au groupe. Je n’avais pas une position hiérarchique. Il y avait un respect mutuel. Je les apportais des choses d’Europe et eux m’ont apporté beaucoup de choses que je ne savais pas.

Est-ce que toutes ses rencontres et collaborations n’ont pas eu raison de ta propre carrière solo ?

C’est vrai que cela m’a pris beaucoup de temps et d’énergie. Mais, je ne le regrette pas du tout car ça m’a apporté beaucoup de choses humainement et musicalement. J’ai dû délaisser ma carrière solo à cause de toutes ces sollicitations.

Après les artistes de l’Afrique de l’ouest, vous vous retrouvez à arranger un certain Lokoua Kanza et Papa Wemba. Racontez nous ce film…

Vous savez, au moment où je travaillais avec les artistes de l’Afrique de l’ouest, j ai aussi rencontré des artistes camerounais avec lesquels j’ai joué. Lokoua est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup d’admiration et beaucoup de respect avec une voix d’or. C’est une Afrique différente, mais tout le monde est unit par une force extraordinaire qui s’appelle la musique. Cette union n’a pas besoin de montrer sa carte d’identité ou son passeport, quand on se voit, que tu sois malien, ivoirien, congolais, camerounais, mauritanien ou béninois, etc. Moi j’aime vibrer avec les gens. Je me suis retrouvé une fois avec des griots soninké de Mauritanie, avec lesquels je suis toujours ami d’ailleurs. Ils ne parlaient aucun mot du français. Moi non plus, je ne parlais aucun mot soninké. On ne pouvait se parler qu’avec nos instruments. Quand on s’entend bien musicalement, il n’y a pas de barrière.

Avec l’apparition des nouvelles technologies, quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans les arrangements musicaux ?

La première difficulté, c’est le piratage qui est dû à une mauvaise éducation des gens. Les gens veulent la musique gratuitement. Ils ne savent pas que les instruments coutent chers et que les artistes veulent vivre de leur art. Ils ne savent pas que sans la musique, un musicien meurt ou il est obligé de trouver un autre travail et il va moins se consacrer à la musique. C’est vraiment un gros problème. On ne sait pas comment venir à bout de ce fléau. Deuxième problème, les ordinateurs nous permettent de faire beaucoup de choses. C’est moins facile à utiliser pour un aveugle que les vieilles machines ou les anciens synthétiseurs, heureusement que j’y arrive avec les systèmes adaptés. J’ai un ordinateur qui parle, un téléphone qui parle donc je peux me servir de la technologie. Mais, j’ai des limites par rapport à ceux qui voient.

Ta dernière collaboration a abouti à un album avec le guinéen Mory Djely Kouyaté. Pourquoi Mory Djely ?

On a sorti plein d’autres albums en Guinée. Mais, là on a eu la chance d’avoir un producteur français du nom de Gilbert Castro. Mory a l’une des plus belles voix du monde. C’est difficile de le dire, surtout pour les autres. J’ai travaillé avec tellement de belles voix, mais celle de Mory djely m’a particulièrement touchée. Cet album « Tinkisso » est très particulier car il est fait uniquement de piano et de la voix de Mory, quelques morceaux avec deux guitaristes et un percussionniste. C’est un album qui plait plus au public blanc qui, malheureusement n’a pas eu un grand succès en Afrique parce que ce n’est pas assez rythmé. Bon voilà, Mory, c’est Mory quoi…

Quel est votre actualité, les projets à venir ?

Je pars au canada pour faire une collaboration avec des indiens américains, la rencontre d’autres cultures, d’autres musiques. Me consacrer aussi à moi- même, vous faire de jolies choses. Tiens, j’ai sorti un album il n’y a pas longtemps en 2012. Il n’a pas eu de succès, mais moi j’en suis fier et je vais vous en laisser un d’ailleurs pour les radios africaines.
Mory Toure

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