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Education en Afrique : Elément de réflexion sur la problématique

vendredi 7 février 2014, par Assane Koné

Pour être bien comprise, la problématique de l’éducation en Afrique doit être analysée sous l’angle historique.

Au sortir de la période coloniale, les Etats africains ne disposaient pas d’une masse critique de ressources humaines qualifiées (sauf quelques rares exceptions liées à des raisons et circonstances particulières concourant aux fins de l’exploitation coloniale). Le système de l’économie de traite coloniale interdisait cette possibilité : en effet, la valorisation « in situ » des matières premières du cru des colonies rendait celles-ci moins intéressantes pour les industries des métropoles alors à la recherche d’une compétitivité supérieure face à leurs concurrentes européennes et américaines (notamment dans le secteur textile).

Les pays colonisés étaient par conséquents contraints de se spécialiser dans les productions primaires d’exportation (l’industrialisation leur était interdite) et insérés dans les liens du « pacte colonial » (exclusivité des échanges avec leurs métropoles coloniales).

Le système de formation se limitait donc logiquement à la formation de cadres subalternes pour servir de supplétifs au personnel d’administration et d’exploitation coloniale. Les nationalistes africains le qualifiaient à l’époque de système de « formation au rabais ».

A l’indépendance, les Etats africains, confrontés à un manque critique de cadres (de niveau moyen et supérieur) indispensables pour assurer le processus de développement national, ont, en général mis en place des systèmes de scolarisation universels.

Malheureusement, les politiques de développement inadaptées qui ont été adoptées et les pratiques de corruption des régimes au pouvoir (endettement injustifié, réalisation de projets surdimensionnés ou « éléphants blancs », détournements de deniers publics, gabegies au cours des années 1980) ont fini par conduire ces Etats à la banqueroute. Les bailleurs de fonds occidentaux, par le truchement des institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale) leur imposèrent des Politiques d’Ajustement Structurel afin d’assurer leur solvabilité et de garantir ainsi le remboursement de leurs dettes. En même temps, ils portent un intérêt certain à l’éducation, intérêt qui s’insère dans le besoin général d’investir dans le capital humain, lequel doit contribuer à la croissance économique national par :

  L’augmentation de la productivité du travail ;
  L’adaptabilité de la main d’œuvre (force de travail entrepreneuse, flexible et adaptable aux nouvelles technologies à fournir par l’enseignement technique) ;
  L’atténuation de la pression démographique (changement chez les femmes, suite à leur éducation, dans le choix de leur descendance).

Ainsi, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), l’Unesco, l’Unicef et la Banque Mondiale ont convoqué la conférence mondiale sur l’éducation tenue à Jomtien en Thaïlande en 1990 pour définir les objectifs essentiels qui devaient êtres atteints en 2000 à savoir : l’accès universel à l’enseignement primaire pour tous les enfants, l’amélioration de la participation aux programmes d’éveil de la petite enfance et la réduction de l’analphabétisme des adultes.

Le Forum mondial tenu à Dakar au Sénégal en 2000 a évalué ces objectifs et en a défini de nouveaux. En particulier, la communauté internationale s’est engagée pour que l’éducation pour tous (EPT) devienne une réalité en 2015.

La Banque Mondiale qui a une importance prépondérante dans les politiques éducatives des pays en développement (en raison de son poids institutionnel et de sa capacité d’expertise), inclut l’éducation dans le programme de réduction de la dette et propose des stratégies et des calculs précis pour le financement de l’éducation pour tous (EPT) et l’achèvement universel du primaire (AUP). Elle recommande une politique de ré-allocation des ressources publiques vers le primaire et l’augmentation de l’investissement privé pour soutenir une stratégie de croissance. Pour l’institution financière internationale, quand on veut atteindre l’efficacité, il n’est pas toujours nécessaire d’investir d’avantage, il faut plutôt mieux investir.

Son approche s’appuie sur trois (3) hypothèses que des études commanditées par elle concernant un certain nombre de pays de l’Afrique Sub- saharienne ont confirmées :

  L’absence de relation entre financement et scolarisation ;
  Le taux de rendement du privé est supérieur au taux de rendement public ;
  Enfin, le primaire, est le niveau d’enseignement le plus productif.

La conclusion de ces études qui fondent sa position est la suivante :

a) C’est l’augmentation de l’investissement privé qui permet d’accroître les ressources globales pour l’éducation de façon équitable, surtout dans les pays en difficulté pour atteindre l’AUP en 2015 ;
b) L’écart entre les taux de rendement du privé et du public est social, et le plus élevé correspond au supérieur.

Il y’a donc intérêt à faire payer le vrai prix de cet enseignement aux étudiants et d’allouer les ressources publiques correspondantes au primaire.
Cependant, des recherches récentes ont établi des constats conduisant à atténuer les tendances qui étayent les analyses, les conclusions et la position de la Banque Mondiale :

  Le niveau de richesse s’avère éloquent quant on veut comprendre les différences de niveaux de scolarisation entre les pays. En effet, c’est parce que les dépenses d’éducation par élève du pré-primaire et du primaire sont exprimées en pourcentage du PNB que les pays les plus pauvres ont tendance à présenter des pourcentages plus élevés. L’enseignement (qui fait normalement partie du secteur formel) est relativement plus cher dans ces pays. A de rares exceptions près, tous les pays de l’Afrique sub-saharienne qui ont un PIB par habitant supérieur à 715 dollars présentent des taux de scolarisation net supérieurs à 70%, et, par contre, tous ceux qui ont un PIB inférieur à 715 dollars présentent des taux de scolarisation net inferieurs à 70% ;
  Sur trois décennies (1970 à la fin des années 90), la baisse de l’effort national destiné à l’éducation n’a pas été compensée par une augmentation de richesse ; au contraire, la plupart des pays pauvres sont en crise, sans croissance depuis de longues années et sont lourdement endettés. On y observe une tendance à la décroissance et à la stagnation économique en dessous d’un dollar par jour et par habitant ;
  Ni les difficultés des pouvoirs publics et leur désistement, ni les avantages ainsi offerts aux acteurs privés n’ont encouragés de façon significative ceux derniers pour investir dans l’enseignement et compenser la contrainte budgétaire de ces Etats. Aucune donnée fiable ne permet pour le moment de vérifier l’ampleur réel du développement parallèle de l’enseignement informel (soutenu par certaines Agences internationales et es ONG).
 
Dans ces conditions, les recommandations de la Banque Mondiale relatives à l’efficacité de l’utilisation des ressources publiques, si elles n’intègrent pas l’efficacité des arbitrages publics qui sont toujours nécessaires, risquent de n’être que de simples palliatifs à la baisse généralisée des ressources publiques, à la stagnation économique des pays pauvres comme ceux d’Afrique.

Par ailleurs, l’insuffisance critique du nombre d’enseignants, des infrastructures et équipements, les recours massifs aux enseignants vacataires non qualifiés ou inexpérimentés (suite à la réduction des budgets nationaux) ont incontestablement entraîné une baisse catastrophique de la qualité de l’enseignement dans ces pays.

Enfin, si l’on se place dans une perspective de développement sur le long terme, un effort public important devrait être consacré à l’enseignement supérieur et à la recherche qui permettent l’innovation et l’acquisition de la compétitivité.

Il serait peut-être judicieux d’envisager des solutions de compromis au niveau régional (CAMES, CEDEAO) afin de mettre en commun et optimiser les ressources puis d’avancer progressivement et de façon réaliste vers à la fois l’objectif d’éducation pour tous en l’an 2015 et celui de lutte contre la pauvreté et de croissance. Encore une fois, le poids de la dette extérieur est un facteur limitant à prendre en compte.

Nouhoum Keita

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