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Simon Njami, l’art de l’action

mardi 14 juin 2016, par Assane Koné

Cette figure importante de la culture contemporaine africaine multiplie les expositions et déconstruit le concept de négritude.

Il parle peu à la presse pour éviter de se voir coller des « étiquettes ». A commencer par celle de l’Africain qui a réussi. « Un machin ambigu, la réussite, comme à l’époque où ce directeur de musée français s’étonnait de mes références grecques et latines. J’avais répondu que j’avais étudié à la Sorbonne. » Sur sa carte de visite d’un noir d’encre, comme la sempiternelle couleur de ses fringues, on lit le même refus. Sous son nom figurent ces quelques mots : « The Man With No Job ». Esprit libre au tempérament froid, Simon Njami est l’une des têtes de l’art contemporain africain. Mais lui se définit plutôt comme écrivain, bien décidé à « ne travailler pour personne ». Ses activités, qui le font sans cesse quitter sa rue de Bagnolet, dans le XXe à Paris, offrent surtout à sa matière grise de quoi épancher sa soif d’écrire, dans l’avion ou entre deux vols.

Simon Njami a d’abord été suisse, né à Lausanne de parents camerounais, avant d’être un adolescent parisien ayant suivi sa mère psychiatre à Paris avec ses frères et sœurs. C’est là qu’il se découvre noir, dans le regard de l’autre. Il veut d’abord être avocat pour défendre son père, Simon Bolivar Njami-Nwandi, prêtre protestant, essayiste et homme politique emprisonné en 1976 et 1977 pour « délit d’opinion » au Cameroun. Mais tout s’arrange avec la chute de la dictature. Simon senior devient député, puis secrétaire d’Etat dans les années 90 sous la présidence de Paul Biya. Simon junior, entre-temps, laisse tomber son groupe de rock et les disques de Santana pour aller vers l’écriture. A 23 ans, il publie un vrai-faux polar sur les Noirs de Paris, en forme d’hommage à Chester Himes et Boris Vian. Suivent plusieurs romans, ainsi qu’un essai sur James Baldwin, cosigné avec le grand auteur noir américain. Il a eu le culot d’aller lui poser ses questions en direct, comme plus tard à Léopold Sédar Senghor, dont il a écrit une biographie. Un poète président qu’il détestait avant de le connaître, à cause de sa fameuse phrase : « L’émotion est nègre, comme la raison est hellène. » « Une sorte d’abdication », estime Simon Njami, qui rappelle avoir « subi, comme tous ceux de ma génération, l’influence terrible du concept de négritude, devenu complètement caduc ».

L’un des axes de sa vie sera de ne pas se laisser réduire à sa mélanine. Polyglotte parlant six langues, professeur de littérature comparée aux Etats-Unis, il est embarqué à 29 ans dans une autre aventure avec Revue Noire.Le voilà qui sillonne l’Afrique pour en révéler au monde les talents artistiques dans un beau magazine et des livres d’anthologie. De fil en aiguille, il devient directeur des Rencontres africaines de la photographie à Bamako et commissaire d’expositions, dont « Africa Remix » en 2004 à Paris. Il est l’un des « papes » de cet art africain contemporain qui ne cesse de grandir. Il a brigué la direction de la Documenta 2017 à Kassel, sans la décrocher, mais travaille sans relâche à plusieurs projets. Entre autres, sur un musée d’art contemporain à Luanda. Il écrit aussi des scenarii avec le cinéaste Jean-Pierre Bekolo, dont le dernier film, interdit au Cameroun, s’intitule le Président - et pose la question : « Comment sait-on qu’il est temps de partir ? ». Une réflexion profonde et moqueuse sur Paul Biya, autre chef d’Etat indéboulonnable.

Voilà vingt ans que Simon Njami n’a pas publié de fiction - mais il tient un manuscrit prêt à être édité, si possible par une maison qui lui ferait grâce de tout effort de promotion télévisé. Ecrivain donc, ce à quoi il accepte qu’on ajoute l’adjectif « africain », même si le mot ne va pas sans poser problème. « Africain, je ne sais pas ce que ça veut dire. J’ai passé une bonne partie de ma vie à y réfléchir, et je n’ai pas de réponse. Je n’ai pas de gri-gri chez moi, et je préfère le champagne au vin de palme ! » Sa façon d’être « franco de port » fait qu’on lui voue des haines tenaces. De celles, assez spéciales au sud du Sahara, qui visent tous ceux qui ont l’audace de réussir. « Le problème en Afrique, dit-il, ce n’est pas l’argent, mais l’attitude. L’imagination des gens est bloquée : un ouvrier veut une maison, mais pas être patron. La plupart des dirigeants africains sont lobotomisés. Ce n’est pas qu’ils se trompent de stratégie. En fait, ils n’en ont pas ! »

Il énerve beaucoup, en envoyant qui bon lui semble dans les cordes. Les dépités et les « mauvais coucheurs », comme il les appelle, lui reprochent à la fois son arrogance made in France et de faire ce qu’ils pratiquent souvent eux-mêmes : se servir de sa couleur comme d’un passe-droit. Simon Njami, un imposteur ? c’est aller un peu vite en besogne. Car cette « tronche » incontestable fait son travail - et plutôt bien. Un artiste et critique d’art sénégalais remarque qu’il a été « l’homme de l’année » en 2015, avec trois expositions de haut vol : l’une sur la Divine Comédie de Dante, revisitée par des artistes africains, l’autre « Xenopolis », où plusieurs artistes étrangers de tous horizons ont évoqué leur ville, et la dernière, en octobre, « Après Eden », une rétrospective des photographies africaines du collectionneur allemand Artur Walther. Pour couronner le tout, il vient d’orchestrer la toute récente Biennale des arts de Dakar. Un ambitieux tourbillon dont il sort lessivé mais satisfait, avec le sentiment d’une mission accomplie. « Pour moi, la Biennale est une vieille histoire dans laquelle je voulais être pleinement pour voir ce qu’on peut y faire ou pas. » Conclusion : « On peut y faire beaucoup. » La principale exposition porte un titre qu’il a voulu politique : « Réenchantement ». « Ce n’est pas un résultat, mais un processus, précise-t-il. Il s’agit de rêver, d’avoir envie, de penser le monde et de réaliser qu’il n’est pas nécessairement comme il nous apparaît ni comme on nous dit qu’il est. »

Qu’est-ce qui fait courir Simon Njami ? « Voir un gamin ingénieur venir chaque jour voir une expo, pendant sa pause déjeuner. Montrer aux gens que les choses impossibles peuvent se faire. Qu’on peut décider d’être libre. » S’il a du pouvoir et se trouve extrêmement courtisé, c’est que l’art est un champ politique. Il ne s’excuse pas d’en maîtriser les règles. « Quand on fait la révolution, on ne se met pas à compter les soldats », dit-il, se voulant rassembleur autour d’une vaste entreprise de décloisonnement de l’Afrique. Sans toujours l’être, parce qu’il a ses têtes. « Quand je croise un pleurnicheur, je lui rappelle qu’il a les moyens de sa politique », lâche-t-il. Si sa vie n’était pas un roman, elle serait peut-être un western. Dès qu’on tente de le prendre en photo, il dégaine sa main vers l’objectif comme un flingue. Avec lui, le monde se divise en deux catégories : ceux qui geignent et ceux qui avancent. Lui, il avance…

1962 Naissance à Lausanne.
2001 Dirige les Rencontres africaines de la photographie à Bamako.
2004 Commissaire de l’exposition « Africa Remix » au centre Pompidou.
2006 Publie C’était Senghor (Fayard). 2016 Commissaire de Dak’Art, Biennale de l’art africain contemporain.

Sabine Cessou
http://www.liberation.fr


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