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Cheick Oumar Sissoko : « Le cinéma, vecteur de développement, de paix et de stabilité »

samedi 8 août 2015, par Assane Koné

Le réalisateur malien Cheick Oumar Sissoko était l’invité d’honneur d’Africajarc 2015, Festival des cultures africaines, dans le sud-ouest de la France. Son dernier film, « Rapt à Bamako », inédit en France, y a été projeté le 23 juillet. En transit à Paris, il est revenu sur l’historique du cinéma africain et nous a détaillé les objectifs de la Fepaci (Fédération panafricaine des cinéastes) dont il est le secrétaire général depuis mars 2013.

Au début des indépendances, les nouveaux pouvoirs s’intéressèrent au cinéma. Au Mali, au Burkina comme au Sénégal, les salles furent nationalisées et l’activité cinématographique subventionnée. Les premières réalisations virent le jour sur le continent. Très vite, les élites du cinéma africain voulurent que le public puisse rencontrer le cinéma et les cinéastes. Petit à petit, des festivals panafricains furent créés. D’abord en Afrique du Nord, en 1966 en Tunisie. Puis, en Afrique de l’Ouest, ce fut le Fespaco en 1969, à Ouagadougou. Mais dès 1979, le FMI et la Banque mondiale imposèrent un ensemble de réformes libérales à l’Afrique sub-saharienne. Leurs plans d’ajustement structurel exigeaient des Etats de procéder à la privatisation des secteurs sociaux (éducation, santé et culture). Certains Etats, comme le Burkina de Thomas Sankara, refusèrent d’obtempérer. D’autres, comme le Mali, n’ont pas eu la volonté de rejeter le diktat des IFI. La privatisation des secteurs publics fut mise en marche.

Cheik Oumar Sissoko explique que le cinéma fut aussi touché que les hôpitaux et les écoles. L’activité cinématographique africaine connut un véritable coup d’arrêt. La vingtaine de salles de cinéma qui existaient au Mali à l’époque fermèrent les unes après les autres. Les cinéastes africains n’ont pas abandonné. Ils n’ont jamais cessé de se mobiliser pour maintenir le cinéma hors de l’eau. En Somalie, le 1er MOGPAFIS (Festival panafricain de cinéma de Mogadiscio) eut lieu en 1981. Au Zimbabwe, 1993 fut l’année du 1er Festival panafricain du cinéma de Hararé.

Sur le Continent et ailleurs, d’autres rencontres consacrées au cinéma africain furent et demeurent des lieux riches d’échange, de découverte et d’émulation. Cependant, malgré son dynamisme indéniable en Afrique du Sud, au Maroc et au Nigéria, l’activité cinématographique africaine va mal aujourd’hui. Créée en 1970, aux Journées cinématographiques de Carthage (Tunisie), la Fepaci a pour vocation de développer l’activité cinématographique sur le continent. Elle a obtenu un statut d’observateur à l’OUA (Organisation de l’Union africaine) en 1985. Petit à petit, elle a gagné en crédibilité et visibilité.

Grâce à l’appui des consultants de 13 pays, l’état des lieux du cinéma africain a pu être fait. La Fepaci a été restructurée, de nouveaux statuts ont été élaborés afin d’avancer dans ses objectifs. En 2001, le Béninois Jacques Béhanzin, secrétaire général de la Fepaci, a élaboré un texte pour qu’une commission africaine de l’audiovisuel et du cinéma et un fonds panafricain pour le cinéma et l’audiovisuel (Fpca) soient créés au sein de l’Union africaine (UA), afin de sensibiliser les Etats à s’investir dans le développement des infrastructures industrielles, économiques et commerciales cinématographiques.

Cheick Oumar Sissoko regrette qu’une certaine léthargie ait régné au sein de la Fepaci entre 2006 et 2013. En 2013, le Kenya a décidé de doter la Fepaci d’un siège à Nairobi et d’un budget de 1 million de US $ par an, pendant les 4 ans du mandat. L’agrément de ce financement a été signé en 2014. Le 23 novembre prochain, au Sommet de l’UA, les chefs d’Etat doivent décider de la création du fonds (FPCA). Outre le SG et les 17 secrétaires régionaux, un conseil consultatif de 7 cinéastes, issus des sous-régions continentales et des diasporas, veillent au respect des objectifs de la Fepaci et une assemblée générale en contrôle la transparence.

Cheick Oumar Sissoko explique que la Fepaci a un programme lourd à porter. Il est nécessaire de réussir à mobiliser les associations nationales de cinéastes afin qu’elles constituent des groupes de pression sur les Etats africains pour leur faire accepter de soutenir le cinéma dans son ensemble, de créer un code africain du cinéma, et de créer un fonds du cinéma à l’échelle nationale et régionale, car cela contrebalancera le Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) qui ne parle pas du tout de culture. Depuis le début de leur mandat, un certain nombre de choses ont déjà été faites par Cheick Oumar Sissoko et l’équipe de la Fepaci. Il leur reste 2 ans pour atteindre le reste des objectifs qu’ils se sont fixés.

Les Etats doivent être amenés à accepter ensemble de faire l’expertise de leur enseignement cinématographique et audio-visuel public. Des écoles de cinéma existent dans certains pays, mais elles n’ont ni le matériel technique, ni les enseignants qu’il faut. Au Mali, par exemple, le Conservatoire des arts et des métiers multimédia ne forme que des monteurs, c’est insuffisant. Il est donc nécessaire que les Etats mutualisent leurs forces pour créer une école panafricaine performante dans chaque sous-région.

Des cinéastes africains tournent des films sur le Continent, mais après le tournage, ils partent presque tous en Occident pour monter et mixer, c’est-à-dire finir le film, car il n’y a pas de structures de post-production dans leur pays. Cela coûte très cher, les voyages, les hôtels, le niveau de salaire des techniciens sur place est très élevé, la production des films africains en souffre. Il faut que la Fepaci obtienne la création d’infrastructures de post-production dans toutes les sous-régions.

À terme, un système africain de distribution devra voir le jour. Chaque capitale devra ouvrir une, deux, voire trois salles de cinéma. Ensuite, des salles devront être créées dans les villes secondaires de chaque pays. Il est nécessaire que les gens puissent voir des films et documentaires africains, intégralement tournés et produits sur le continent, soit dans une salle de cinéma de leur quartier, soit chez eux à la télévision. Cheick Oumar Sissoko insiste qu’il est impératif de faire la jonction entre le cinéma et la télévision. De jeunes réalisateurs africains sont formés. Certains deviennent de grands cinéastes, mais à l’heure du numérique et de la toute puissance médiatique, il faut qu’ils soient à la hauteur pour occuper le grand écran comme le petit écran.

En effet, les chaînes de télévisions africaines se nourrissent principalement de séries et de films étrangers. Les gens doivent bien sûr les regarder pour comprendre ce qui se passe ailleurs, mais Cheick Oumar Sissoko estime que seules les productions continentales peuvent faire découvrir et connaître la richesse et la variété des identités culturelles et des civilisations africaines, dont les valeurs universelles sont souvent méconnues, voire inconnues de la jeunesse.

Les objectifs de la Fepaci sont importants. Cela ne va pas être facile de les atteindre tous, reconnaît Cheick Oumar Sissoko, mais si l’UA ouvre certaines portes, et si les Etats comprennent que la culture et les arts en général et le 7e art en particulier sont de remarquables vecteurs de développement, de paix et de stabilité, le Secrétaire général de la Fepaci se dit assez optimiste.

Un texte de Françoise WASSERVOGEL

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