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La Côte d’Ivoire est-elle réellement de retour ?

vendredi 12 juin 2015, par Assane Koné

Tout le laisse croire : sa croissance (9 %), les créations d’entreprise (6 000 entreprises entre 2013 et 2014), les investissements (675 millions d’euros)...

« Côte d’Ivoire is back », martèlent les autorités ivoiriennes et les chiffres l’attestent. Mais à quatre mois de la prochaine élection présidentielle où Alassane Ouattara repart en course pour un second mandat, tous les défis de la locomotive d’Afrique de l’Ouest ont-ils été relevés ? À commencer par la sécurité, la réconciliation nationale, l’emploi... La question est posée. En attendant, les Abidjanais se préparent à affronter la fermeture du pont Général de Gaulle, le deuxième pont d’Abidjan. « Fermé pour travaux pendant 5 mois dans le cadre de l’élargissement de la baie », explique-t-on. « C’est déjà l’enfer pour circuler à Abidjan, alors, cinq mois de travaux, on veut nous tuer, quoi ! » peste un taxi. « Le 3e pont Henri Konan Bédié (HKB), inauguré en grande pompe en décembre dernier, est opérationnel », rassurent les autorités. Fuites des quartiers insalubres, nouvelles cités résidentielles, réhabilitations des voiries... : Abidjan est en chantier. Au-delà, c’est l’ensemble du pays qui est en voie de modernisation. La Côte d’Ivoire vise l’émergence en 2020, et d’ici là elle se doit d’afficher des infrastructures à la hauteur de ses nouvelles ambitions. Le fruit de la volonté du président Alassane Dramane Ouattara, dit ADO, qui présente ainsi un « bilan visible ».

Un faisceau d’indicateurs révélateurs du mieux

À Abidjan notamment. Meurtrie après 10 ans de crises politiques, économiques, institutionnelles, la ville n’a jamais été aussi belle. Et aussi fréquentée. En 2014, l’aéroport Félix Houphouët-Boigny a accueilli 1,5 million de voyageurs, un record depuis 1999. Fini l’isolement, « Côte d’Ivoire is back », ainsi que le répètent inlassablement les autorités depuis deux ans. Chiffres à l’appui. Avec 9 % de croissance annuelle depuis trois ans - alors qu’elle avait dégringolé à - 4,7 % en 2011 -, portée par des investissements publics importants accompagnés d’une série de réformes majeures, le cadre macroéconomique est stabilisé. L’inflation, de 9 % en 2011, a été ramenée à 3,6 % en 2013. La confiance des bailleurs de fonds a été regagnée. Ce qui s’est notamment illustré par l’atteinte du point d’achèvement PPTE (pays pauvre très endetté). Résultat, la dette extérieure a été réduite de 24 %. « Au sortir d’une crise, il fallait ramener très vite la confiance, notamment dans les milieux financiers, rappelle le ministre du Commerce ivoirien », Jean-Louis Billon. « On le doit au président Alassane Ouattara qui a su rassurer et prendre très tôt les mesures nécessaires pour faire redémarrer l’économie du pays ».

ADO, véritable VRP de l’émergence ivoirienne

Le président de la République a parcouru le monde, invitant les opérateurs privés à investir en Côte d’Ivoire. Son argument : la Côte d’Ivoire, hub de la sous-région, est la porte d’entrée de l’Afrique de l’Ouest, un marché de plus de 300 millions d’habitants. Et ça fonctionne. En janvier 2014, la Côte d’Ivoire recevait 675 millions d’euros d’intentions d’investissements. Et entre 2013 et 2014 près de 6 000 entreprises créées entre 2013 et 2014. Grâce à des réformes majeures saluées par le rapport Doing Business 2014 de la Banque mondiale qui classe la Côte d’Ivoire parmi les dix nations qui ont le plus amélioré la réglementation des affaires. « En termes de compétitivité, la Côte d’Ivoire a inversé la donne et elle gagne des points dans les classements mondiaux depuis deux ans. Il y a un bilan visible », souligne le ministre Billon.

Compter aussi avec le « bilan invisible »

Visible ? Cela signifie qu’il y en a un d’invisible. Justement qu’en est-il du bilan « invisible » ? Réconciliation nationale, lutte contre la vie chère, création d’emplois... les facteurs susceptibles de ressouder le tissu social fragilisé par la décennie de crises... « En termes d’amélioration du coût de la vie, les choses sont plus lentes, car nous touchons à la structure d’une économie qui a été profondément affectée par la crise : pertes d’emplois, affaiblissement de secteurs primordiaux pour notre pays comme la filière du cacao, que nous sommes en train de relancer, difficultés des PME… Mais il faut être lucide sur le constat : le coût de la vie est plus causé par la baisse du pouvoir d’achat que par l’inflation. Il faut donc avant tout redonner plus de souffle à notre économie et améliorer notre compétitivité pour notamment créer des emplois, et ainsi répondre durablement aux revendications sociales. Mais à terme, nous sommes sur la bonne voie », indique le ministre du Commerce. En somme, le premier mandat aura permis de poser le cadre économique, le second mettra l’accent sur le social, avec pour priorité l’emploi. « Notre pays s’est remis au travail, avait assuré le chef du gouvernement, pièce maîtresse du plan ADO, Daniel Kablan Duncan, symbole de l’alliance avec le PDCI de Bédié.

Un deuxième miracle économique ?

« L’heure d’un deuxième miracle est venue », annonçait Christine Lagarde, DG du FMI lors d’une visite à Abidjan en janvier 2014. Et pour atteindre cet objectif, les autorités se sont dotées d’une stratégie, déclinée dans le Plan national de développement (PND 2012-2015) et ses 22 milliards de dollars américains d’investissements, un plan porté à 60 % par le secteur privé. Ses objectifs : une croissance forte et soutenue, créatrice de richesses et d’emplois, en faveur de la jeunesse notamment. En portant l’accent notamment sur l’agriculture, pilier du premier miracle ivoirien. « On ne mange pas la croissance », entend-on régulièrement à Abidjan. Pas plus que les ponts. « On ne mange pas sans la croissance », rétorque Daniel Kablan Duncan. C’est tout le dilemme des pays en voie d’émergence comme la Côte d’Ivoire : transformer la bonne santé macroéconomique dans l’amélioration du quotidien des populations.

Au-delà du social, les défis de la sécurité et de la réconciliation

S’agissant de la Côte d’Ivoire, un autre défi demeure : pérenniser la nouvelle stabilité... qui semble encore fragile. Même si les autorités se félicitent que la sécurité ait atteint le niveau 1,3 (contre 3,8 en janvier 2012). » C’est l’équivalent de villes comme New York », précise Albert Toikeusse Mabri, ministre du Plan. « Si les choses allaient si bien que cela, pourquoi les militaires français sont-ils toujours là ? » interroge un journaliste local. Et de poursuivre : « La mission Licorne est pourtant officiellement terminée depuis janvier 2015… » La question de la réconciliation nationale reste en suspens malgré la mise en place de la commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR). Des signes positifs ont été enregistrés, comme le retour d’exil d’un peu plus d’un millier d’anciens militaires. Quatorze ex-partisans du président déchu ont été libérés, dont Pascal Affi-Nguessan, chef du FPI.

Dialogue politique entre ouverture et crispation

Reste que le dialogue entre le parti au pouvoir, le RDR, et l’opposition oscille entre ouverture et crispation. Le processus de désarmement et de réintégration des anciens combattants est par ailleurs loin d’avoir été achevé. Ce qui laisse craindre des tensions à l’approche des élections en octobre. « Non, tout ça est derrière nous, assure un proche du gouvernement. Les Ivoiriens ont beaucoup trop souffert. Même s’il y a des mécontentements, et c’est tout à fait compréhensible, personne n’est prêt à voir la Côte d’Ivoire flamber à nouveau. » Les souvenirs, encore sensibles, des décennies de crises d’abord économique, puis politique et institutionnelle, la guerre qui aura coupé le pays en deux, fait 3 000 morts et provoqué le déplacement de milliers d’Ivoiriens, sont encore sensibles. Et la Côte d’Ivoire n’a pas encore pansé toutes ses plaies... « On garde tous en mémoire la crise postélectorale. Elle est derrière nous, et j’espère que chacun à sa place en a retenu les leçons. Une démocratie apaisée repose sur le fair-play. Il faut que chacun puisse présenter son projet politique et accepte de se soumettre à la volonté des électeurs », exhorte Jean-Louis Billon. « Une élection fait partie de la vie politique de tout État démocratique », observe Emmanuel Essis, directeur du Centre de promotion des investissements de Côte d’Ivoire (Cepici).

Les élections de 2015 devraient permettre au pays des Éléphants d’envoyer un signal fort d’une Côte d’Ivoire qui « va bien » et qui est définitivement retournée à une vie politique normale. De quoi rassurer les investisseurs sur la stabilité du pays au niveau tant économique que politique. « Les investisseurs ont compris que la Côte d’Ivoire a repris sa place de hub de l’Afrique de l’Ouest », dit Emmanuel Essis. Hub économique, bourse énergétique, plateforme aéroportuaire... Tout est là qui montre que la Côte d’Ivoire veut retrouver sa place de poumon de la sous-région. En attendant, et c’est peut-être un signe : les Éléphants ont remporté la CAN 2017. Vont-ils continuer sur leur trajectoire de champion d’Afrique ?

Le Point FR (Le Point Afrique)
Par notre envoyée spéciale à Abidjan, Dounia Ben Mohamed

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