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Mali : une ‘démocratie’ contre le peuple !

mercredi 18 septembre 2013, par Assane Koné

La chute brutale de ATT a mis à nu les fondements pourris de la démocratie malienne tant chantée à l’extérieur. Les populations maliennes l’avaient compris il y a belle lurette. En témoignent les taux de participation qui dégringolaient d’élection en élection. De 1991 à nos jours, à peine 20% des Maliens participent régulièrement aux élections. Depuis deux décennies, nous avons l’un des taux de participation aux élections les plus bas en Afrique. Peut-on honnêtement dans ces conditions qualifier de légitime une ‘démocratie’ autant boudée par son propre peuple ?

Le coup d’Etat du 22 mars 2012 a soulevé un concert de condamnations plus ou moins sincères. Certains l’ont condamné, parce qu’ils n’étaient pas objectivement informés des réalités maliennes, victimes naïfs de la propagande orchestrée par le régime et ses soutiens extérieurs. Parmi eux des démocrates sincères qui, par conviction, n’ont jamais adhéré aux coups d’Etat militaires intervenus depuis la vague des indépendances africaines, coups d’Etat la plupart du temps inspirés et soutenus par les pays occidentaux et parmi eux surtout la France dans ses anciennes possessions coloniales. Depuis rien n’a fondamentalement changé sinon les méthodes devenues plus subtiles pour transformer des dictatures militaires en régimes ‘démocratiques’ par la magie du bulletin de vote lors d’élections visiblement tronquées mais validées avec le concours d’observateurs internationaux offrant complaisamment un certificat d’authenticité à un processus électoral auquel n’adhèrent point les populations directement concernées. Lors des dernières élections au Mali, l’ancien Président de la cour constitutionnelle a eu à dire qu’il n’y avait jamais eu autant de fraudes et d’irrégularités ! Pourtant les résultats électoraux obtinrent le label démocratique. Cependant les Maliennes et les Maliens n’ont jamais eu autant de mépris pour leurs dirigeants et leur classe politique. Aujourd’hui les langues commencent à se délier révélant toute la puanteur d’un système basé sur le mensonge et le pillage des ressources publiques par une minorité de brigands en uniforme et en col blanc.
Quoi de plus normal qu’on s’époumone alors contre le coup d’Etat. Suffit-il de condamner un coup d’Etat pour être un démocrate alors que sa pratique quotidienne du pouvoir et de la gestion des affaires publiques est un déni de démocratie ? Est-on réellement démocrate quand on est aux côtés des dictateurs ‘démocratiquement’ élus contre leur propre peuple ? Est-on réellement démocrate quand, deux décennies durant, la pratique ‘démocratique’ du pouvoir a plongé les populations maliennes dans les affres de la misère, de l’injustice et de l’impunité. Est-ce démocratique que de l’étranger on vienne restaurer un ordre constitutionnel dont ne veut plus visiblement un peuple ? Est-il démocratique d’imposer la démocratie à coups d’intervention militaire et de menaces en tous genres ? De quelle démocratie s’agit-il ? Démocratie de la misère pour le plus grand nombre, démocratie des millionnaires et milliardaires pour une élite qui a tout volé et accaparé ?
Que dire aussi des régimes ‘démocratiques’ africains surtout dans l’espace francophone ? Bien de putschistes d’hier sont devenus aujourd’hui des ‘démocrates’ légitimés par des coups d’Etat électoraux. Les dirigeants occidentaux s’en sont-ils offusqués ? Ils les reçoivent à leur table, trinquent avec eux en toute amitié. Ils continuent à coopérer, à soutenir des régimes dont les mains sont rougies du sang de leur peuple. Et curieusement l’on constate surtout dans l’espace francophone en Afrique que partout où gouvernent des régimes militaires déguisés en démocratie, point n’est besoin de bases militaires françaises. Ils font proprement le boulot qui leur est demandé. Par contre là où des civils sont au pouvoir, les baïonnettes françaises assurent leurs arrières. Si l’Afrique est malade des ses dictatures militaires ‘démocratisées’ et de sa classe politique apatride et rapace, elle l’est aussi et principalement de l’interventionnisme des occidentaux qui désignent en fait nos dirigeants à travers des processus électoraux arrangés à l’avance. C’est à juste raison que les peuples ont choisi jusqu’ici de leur tourner le dos. Mais cela suffit-il désormais ? Faut-il baisser les bras et s’en remettre à des coups d’Etat ‘sauveurs’ comme celui du 22 mars au Mali ?
La guerre au nord Mali n’est point une surprise. Elle est la conséquence d’enjeux géopolitiques et géostratégiques autour du pétrole, du gaz, de l’uranium, de l’eau, du fer, du manganèse, du cuivre, du charbon, du thorium et autres métaux précieux, des trafics d’armes et de drogue et autres motifs inavoués et inavouables qui renflouent les caisses d’une Europe menacée par la faillite de l’euro et un monde balloté par la crise financière. Le MNLA, les djihadistes et autres acteurs, les régimes militaro-civils ‘démocratiquement élus’ ne sont que les bras armés des visées de certaines multinationales occidentales et de pétromonarchies du golfe arabique. Tous sont en réalité manipulés dans une guerre imposée à nos populations multiethniques qui ont vécu en intelligence des siècles durant. En témoigne le vieux projet français d’OCRS (Organisation Commune des Régions Sahariennes : une superficie environ 15 fois plus grande que la France) datant de la colonisation et toujours d’actualité dans certains milieux nostalgiques occidentaux. C’est la colonisation européenne qui a divisé et jeté les unes contre les autres des populations que nos empires avaient su brasser pour construire des nations cosmopolites.
La rapidité de la victoire des rebelles touaregs ne saurait être simplement justifiée par la supériorité de leur armement fourni en partie par la France et le Qatar et livré via la Mauritanie, l’assistance tactique offerte par certains pays, l’audace et la bravoure de leurs troupes. Elle s’explique aussi et largement, par le travail de sape interne accompli au plus haut sommet de l’Etat par ATT et ses complices militaires et civils, traitres à leur propre patrie. Aujourd’hui bien de sombres histoires remontent jusque sur la place publique. Les jours prochains lèveront bien de voiles et sur bien de choses, sur les fortunes colossales et subites de bien de politiciens. Le peuple en sortira encore plus meurtri par tant de trahisons et de bassesses de la part de ses dirigeants aussi bien militaires que civils.
Face à cette guerre imposée, partout se lèvent des volontaires désireux de participer à la lutte de résistance patriotique pour recouvrer la dignité perdue et rétablir l’unité nationale et l’intégrité territoriale du pays. Ils ne veulent point d’intervention extérieure ni de forces d’interposition de la CEDEAO. Ils savent que derrière la rébellion et la CEDEAO, se cache la France et d’autres puissances. Pour eux, ceux qui prônent la négociation, rien que la négociation, sont les partisans de la partition de fait du pays. La chute de Gao et de Tombouctou a créé un état de choc violent dans la conscience des populations. Elle a remis au goût du jour le vieux projet colonial français de l’OCRS. La brutalité et l’arrogance de la bande Sarkozy-Juppé et Compagnie, leur accompagnement tout aussi brutal et arrogant par la CEDEAO ont réveillé le nationalisme malien. Les Maliens savent aujourd’hui que la France de Sarkozy n’est point leur amie. Cependant ils ne font point l’amalgame entre le peuple français et ses dirigeants actuels. De nombreux français, des hommes politiques français de gauche, de nombreuses associations françaises témoignent quotidiennement leur solidarité avec le peuple malien.
Que dire aussi des pays africains, notamment ceux de la CEDEAO et surtout des voisins immédiats du Mali ?
Les Maliens comprennent difficilement l’attitude de l’Algérie. Gao et Tombouctou ont servi longtemps de base arrière à la lutte d’indépendance du peuple algérien. Son président actuel en sait personnellement quelque chose. Même si les voltes-faces et les trahisons multiples de ATT ont effarouché bon nombre de pays voisins, cela ne peut en aucun cas justifier l’indifférence voire la complicité algérienne de fait avec la rébellion touarègue. L’enlèvement de ses diplomates à Gao pourrait être l’occasion d’un réexamen de sa position. Face aux convoitises internationales, le salut du Mali passe par la construction d’un axe stratégique avec l’Algérie. Elle est et restera une alliée incontournable malgré les méfiances et déchirures actuelles.
L’attitude de la Mauritanie n’a guère surpris non plus. Elle abrite l’une des représentations officielles de la rébellion. Tout le monde sait ce que doit l’actuel président mauritanien à la France de Sarkozy. La Mauritanie est devenue un des bras armés de la France dans la région. Ses expéditions guerrières successives en territoire malien avec parfois des massacres de populations civiles innocentes présentées à tort comme étant des terroristes, ont indigné de nombreux Maliens révoltés par l’indifférence et la complicité de ATT et de ses généraux. De nombreux soldats du retour du front racontent abondamment les nombreux coups de poignard dans le dos portés par ATT et sa clique d’officiers supérieurs, leurs trahisons et forfaitures. Jamais un peuple n’a été autant trahi par ses dirigeants.
Quant à la Côte d’Ivoire de Alassane Ouattara, elle a soulevé une immense déception dans l’inconscient collectif des Maliens. Beaucoup d’entre eux ont laissé leur vie et leurs biens dans les affrontements mortels entre Ouattara et Gbagbo. Dans leur immense majorité, ils ont pris fait et cause pour Ouattara. Ils ont spontanément et volontairement porté assistance à leurs frères ivoiriens en difficulté. Ils ne comprennent et n’acceptent aucunement tant d’ingratitude de la part d’un homme qu’ils ont porté dans leur cœur. Comment comprendre son acharnement contre tout un peuple qu’on a voulu punir pour un seul individu, pour ATT, pour un homme qui a trahi son pays ? Les sanctions décidées par le CEDEAO ont brisé leur foi dans la solidarité africaine. Le panafricanisme qui avait jusque là façonné leur vision de l’unité africaine a volé en éclat. La Côte d’Ivoire est fortement perçue comme l’instrument docile de la France.
En ce qui concerne le Burkina, la méfiance reste de mise. Pour bon nombre des Maliens, il a toujours abrité des bases arrières de la rébellion touarègue. Dieu seul sait les sombres arrières pensées de son président Blaise Compraoré et ses desseins funestes pour le Mali. Peut-on être médiateur si l’on n’a pas de complicité avec les uns ou avec les autres ? L’opportunisme burkinabé est souvent considéré comme de la duplicité. Sa collusion avec la politique française en Afrique ne fait guère de doute.
Si la non application immédiate des sanctions de la CEDEAO par le Sénégal a soulevé une certaine sympathie vis-à-vis de son nouveau président, les Maliens n’ont point compris pourquoi et comment un ministre français ait pu participer à un sommet de chefs d’Etat africains poussés à prendre des décisions fondamentalement injustes et dirigés contre des victimes innocentes.
Comment a-t-on pu se préoccuper du seul sort d’ATT et de ses complices et faire peu de cas de celui de tout un peuple ? Pourtant la mauvaise gestion, la corruption, les détournements massifs des deniers publics, l’impunité, l’arrogance des auteurs de ces forfaits sont connus de tous. La démocratie est-elle impunité ? Pourquoi protéger des voleurs et leur permettre d’échapper ainsi à la justice de leur pays ? Les populations veulent que rendent compte et soient punis ceux qui les ont pillées au nom de la démocratie.
Aujourd’hui le divorce entre le Mali et ses voisins est largement consommé. Le seul réconfort est venu de la retenue du Niger et des manifestations de soutien des populations. La prise de position ferme du Niger quant à la nécessité d’une offensive militaire pour créer un rapport de force favorable sur le terrain susceptible d’obliger les rebelles à une négociation sans illusion, a été comme un baume sur les plaies béantes d’un peuple meurtri par la trahison de ses dirigeants et de la plupart de ses voisins immédiats. Cependant les marches de soutien, les nombreux témoignages de soutien populaire à Bouaké, Ouagadougou, Niamey et Conakry et ailleurs ont été fortement appréciés. Une vérité a surgi dans la conscience collective des Maliens, celle d’une CEDEAO des dirigeants africains au service des intérêts français et étrangers contre leurs propres peuples.
La seconde déchirure profonde qui est apparue dans la conscience collective des populations maliennes est le rejet violent de sa classe politique au pouvoir depuis bientôt deux décennies pour certains. Sa promptitude à dénoncer le coup d’Etat et son concert de dénonciations réclamant à cors et à cris le rétablissement rapide de l’ordre constitutionnel ancien qui consacrait sa domination, son appel musclé pour une intervention armée étrangère les ont révoltées. La guerre dans le nord du Mali, les populations brutalement jetées sur les routes de l’exil, les massacres, les viols et destructions de biens, le désarroi de tout un peuple ne faisaient point partie des préoccupations des politiciens. Seul leur importaient leur avenir personnel, inquiets qu’ils sont de l’interruption brutale de leur festin par le coup d’Etat du 22 mars. Ils continuaient à réclamer coûte que coûte des élections alors qu’ils savaient pertinemment que le pays était déjà entré en guerre et que la préparation matérielle des élections était largement insuffisante et à dessein. Chacun d’eux était convaincu de l’emporter en raison des milliards volés au peuple avec lesquels ils comptaient acheter le vote de ceux qui étaient disposés à vendre leurs voix, les machines à tricher qu’ils avaient inventées et le concours des féticheurs et charlatans en tous genres qui avaient prédit leur victoire inévitable. Le pouvoir et sa jouissance absolue étaient à portée de main. Ils n’avaient jamais compris qu’il était déjà à terre et dans la rue. Il fut soulevé par les semelles des soldats de Kati révoltés et écœurés, qui dans leur marche improvisée sur le palais de Koulouba, n’eurent même pas à se baisser pour le ramasser devant la fuite honteuse du Général ATT qui clamait partout connaître la guerre et qui dût fuir à travers rocailles et broussailles de la colline de Koulouba et se mettre honteusement sous protection étrangère. Sa fuite nocturne à bord de l’avion présidentiel sénégalais fut saluée par une pluie d’injures, de crachats et de quolibets de la part de soldats écœurés par tant de félonie. Triste fin empreinte de lâcheté de la part d’un traitre usé et miné par ses propres roublardises. L’histoire le traitera sans complaisance aucune.
Mais comment analyser et comprendre le désastre actuel au delà des évènements actuels ?
La faille essentielle de l’accord réalisé entre la junte militaire et la CEDEAO est qu’elle se contente uniquement de réaliser un compromis entre les militaires et la classe politique spoliée de la jouissance du pouvoir par le coup d’Etat. Ledit accord ne se préoccupe nullement du sort du peuple malien
Le peuple est largement absent de l’accord cadre avec la CEDEAO qui ne tient nullement compte de l’aspiration profonde des Maliennes et des Maliens au changement. Le coup d’Etat a soulevé d’immenses espérances dans leur tête, l’espoir de la fin de leur calvaire, la fin d’une démocratie maffieuse pour laquelle ils n’ont que mépris. La coupure est désormais nette entre le camp des restaurateurs de l’ordre ancien et celui des patriotes favorables au changement. Malgré la campagne massive en faveur des premiers des medias occidentaux notamment RFI et France 24 qui refusent de couvrir les manifestations populaires saluant le coup d’Etat, ils restent largement isolés, pointés du doigt dans leur complicité active et totale avec ATT. La ligne de démarcation n’est plus entre anti putschiste et putschiste mais désormais entre apatride et patriote, entre ennemis et amis du peuple.
La population malienne dans sa grande majorité est dans le camp du changement. Elle est fatiguée de cette classe politique qui l’a pressurisée et qui s’est copieusement enrichie battant tous les records de la corruption en Afrique.
La démocratie malienne est porteuse d’un péché originel, celui du contexte dans lequel elle est née.
La chute de la dictature de Moussa Traoré n’a nullement entrainé celle du système d’Etat en place. Les nouveaux dirigeants se sont coulés dans une machine d’Etat fondamentalement antidémocratique qui a fini par les happer. En outre, ils n’ont pas su faire émerger une nouvelle race de fonctionnaires et d’agents de l’Etat susceptibles d’en faire une machine au service de l’intérêt général. Le clientélisme politique et le népotisme ont favorisé l’émergence d’une caste de bureaucrates opportunistes, dociles et incompétents qui finirent par décrédibiliser et détruire l’Etat pour le mettre exclusivement au service d’intérêts individuels et privés. De Alpha Oumar Konaré à ATT la machine s’emballa jusqu’à l’explosion. La déroute brutale de l’armée malienne n’en est que l’un des signes distinctifs. On ne saurait résoudre les problèmes actuels sans analyser et trouver une réponse courageuse à la question de la nécessaire restructuration de l’Etat et de son assainissement, la refondation de la démocratie malienne, des questions qui ne sont nullement inscrites à l’ordre du jour de la CEDEAO et de ses tuteurs internationaux ni dans l’agenda de la classe politique malienne qui n’en veut pas visiblement et pour cause !
La démocratie malienne est malade de la culture de parti unique dont elle a héritée de l’UDPM, ancien parti unique de Moussa Traoré. Le multipartisme intégral consacré par l’ère ‘démocratique’ a, en réalité, donné naissance à une multitude de ‘partis uniques’, sans vie démocratique interne, sans débat interne, sans alternance en son sein. Les partis sont devenus la propriété de leurs dirigeants qui sont restés les mêmes, la caisse de résonance de leurs ambitions individuelles. Aucun véritable projet de société, aucun programme de gouvernement, aucune identité idéologique sinon une ruée vers la majorité présidentielle en vue de profiter des avantages du pouvoir. Dire non et accepter d’aller à l’opposition, à quelques rares exceptions près, n’est guère envisageable pour ces ‘pouvoiristes’ d’un genre nouveau, pressés qu’ils sont, d’aller s’asseoir à la table du festin du pouvoir. La démocratie fut un véritable festival de brigands à un point tel que le peuple devint nostalgique de la dictature. Vouloir retourner à de telles institutions autant vomies par le peuple, est-ce de la démocratie ?
En l’espace d’un mois, le peuple malien a reçu plusieurs gifles retentissantes qu’il n’oubliera pas de si tôt. Elles furent vécues comme une grande humiliation de la part d’un peuple si fier de par son histoire.
La déroute de son armée et surtout la façon ridicule dont elle s’est transformée en débandade, porta un rude coup à sa fierté et à sa dignité. Les replis dits tactiques successifs, l’abandon des positions sans combat avec armes et minutions, ont durablement brisé la confiance en l’armée nationale. Les déclarations quant à la supériorité de l’armement ennemi ne sauraient justifier le manque de combativité des militaires. La pléthore d’officiers, de généraux, de colonels et chefs de bataillons, leur train de vie, leur affairisme connue de tous, en disaient long sur leur capacité à conduire les troupes au combat. L’effondrement de l’armée fit comprendre à tous celui de l’Etat lui-même.
La seconde humiliation fut celle des sanctions de la CEDEAO, l’arrogance avec laquelle elle fut annoncée par les présidents béninois et ivoiriens. Les Maliens étaient prêts à en relever les défis. Ils furent blessés de nouveau dans leur dignité par la reculade tout aussi brutale du CNRDRE, un autre repli tactique sans doute ! Le forcing des envoyés burkinabé et ivoirien, les accords signés par les militaires sous leur dictée aggravèrent le désarroi des populations.
La troisième humiliation fut celle de la convocation des forces vives à Ouagadougou par le médiateur de la CEDEAO. Certains participants, ulcérés par les attitudes condescendantes de la médiation burkinabé, n’hésitèrent pas à dire que le sort du Mali ne saurait être décidé à Ouagadougou mais à Bamako. Drôle de médiation où l’on sentait la prise de position de la CEDEAO en faveur des tenants de l’ordre ancien dont les positions ont été pourtant battues en brèche par l’écrasante majorité des participants. La déclaration de Ouagadougou passa sous silence bien de passes d’armes comme le rejet véhément de la prolongation du mandat du président intérimaire et de l’assemblée et du projet burkinabé de création d’un organe de supervision et de suivi de l’accord cadre qui fut perçue comme une véritable mise sous tutelle du Mali. Face à cette résistance, la médiation déploya la ruse voire la duplicité. En témoignent les non-dits de Ouagadougou qui éclairent largement les décisions du dernier sommet extraordinaire d’Abidjan.
Le choix du Premier ministre de Transition et la formation en catimini du gouvernement sans consultation aucune des forces vives nationales furent ressentis comme une quatrième humiliation. On poussa l’arrogance jusqu’à désigner le conseiller personnel du médiateur comme seul ministre d’Etat chargé des affaires étrangères. De nombreux anciens cadres du régime défunt de Moussa Traoré reprirent du service. Parmi les nouveaux promus, certains trainent des casseroles. Les plus honnêtes ignorent les réalités du pays qu’ils ont quitté il y a souvent plus de 20 ans pour aller servir des institutions internationales. Quelle est la capacité d’analyse, de lecture et d’interprétation des réalités du terrain d’un gouvernement aussi étranger à son propre peuple ? Que peut-il réellement faire face à un tel désastre ? Le moins qu’on puisse dire est que l’actuel Premier Ministre a raté son entrée dans l’histoire récente du Mali en allant s’empêtrer dans les eaux boueuses et croupissantes du passé ? Pourrait-il en émerger ? Il est permis d’en douter.
La dernière humiliation infligée au peuple malien vint suite au dernier sommet extraordinaire de la CEDEAO qui décida unilatéralement de prolonger le mandat du président intérimaire en violation de la constitution du pays et de fixer la durée de la transition sans concertation aucune avec les principaux intéressés avec en prime la menace d’une intervention armée pour les soumettre à l’ordre promulgué à Abidjan.
La coupe est désormais pleine. L’ébullition est à l’extrême. Jamais les Maliens n’ont connu autant d’humiliations en un laps de temps aussi court En témoignent les larmes d’amertume d’un vieux malien acteur des années héroïques de la conquête de l’indépendance et de l’exercice de la souveraineté nationale qui maudissait le sort pour lui avoir infligé d’assister à un moment aussi triste et douloureux de l’histoire du Mali.
Mais derrière les cendres du Mali actuel en train de sombrer, émergent les lueurs d’un Mali nouveau qui pointe à l’horizon. Rien ne sera plus comme auparavant. La peur s’est évanouie. Les Maliens ne veulent plus laisser leur sort entre les mains d’une bande d’aventuriers aussi bien civils que militaires. Ils ne veulent pas non plus se soumettre au diktat de la CEDEAO agissant sous la dictée des puissances extérieures.
La dynamique populaire en gestation sera comme un rouleau compresseur qui balayera l’ordre ancien. La cécité de la classe politique malienne, des dirigeants de la CEDEAO et de leurs parrains occidentaux n’y fera rien. Un nouveau printemps africain est désormais inscrit dans les pages de l’histoire nouvelle du Mali. Sa gestation sera certes difficile et douloureuse. Mais à force de vouloir l’endiguer, de la contenir, elle deviendra plus chargée de pression, plus violente, plus radicale.
Les politiciens maliens, la CEDEAO et les occidentaux se trompent lourdement en voulant restaurer l’ordre ancien. Il est inacceptable aujourd’hui pour le peuple malien qui veut désormais prendre en main son propre destin. Leurs tentatives de restauration de l’ordre ancien ne fermeront jamais la page des coups d’Etat ‘populaires’ en Afrique. L’idéal serait que les peuples se libèrent d’eux-mêmes par la révolution populaire comme celle de 1991 au Mali, trahie et récupérée par la démocratie des milliardaires.
Aujourd’hui ce n’est pas le bulletin de vote qui va régler la question de la démocratie véritable en Afrique mais les luttes populaires de plus en plus fortes, de plus en plus violentes. Plus on tentera de les endiguer, de biaiser, plus elles seront plus déterminées. Les peuples africains n’ont plus d’autres solutions que de dynamiter les horizons bouchés que leur imposent leurs dirigeants corrompus avec la bénédiction des occidentaux.
Malcolm X a été confronté au dilemme du choix entre le bulletin de vote et la balle de fusil. Il a fini par comprendre que le bulletin de vote ne l’amenait nulle part. Une balle de fusil mit fin à ses illusions. Mao a lui choisi le raccourci historique du « pouvoir au bout du fusil  ». Les faits semblent lui donner amplement raison.
Il nous faut rejeter la démocratie imposée par les menaces, les embargos et les bombes des puissances occidentales comme en Lybie, en Côte d’Ivoire ou ailleurs en Afrique et partout dans le monde. Ce n’est pas avec des discours et des bulletins de vote que les peuples s’affranchiront réellement mais par leur mobilisation massive, leur engagement pour leur propre salut sans aucune ingérence extérieure. Il leur appartient d’inventer leur voie pour ériger le monde nouveau qui pointe désormais à l’horizon. Aucune main ne saurait désormais leur cacher le soleil de la véritable démocratie, celle qui est en train de naître de leur colère, de leurs frustrations, des impasses de la ‘démocratie des milliardaires’, une démocratie dirigée contre le peuple.
Les Maliens ont compris que les politiciens actuels de tous ordres, partisans de la restauration de l’ordre ancien, leur ont volé leur démocratie si laborieusement conquise en mars 1991. Ils l’ont vidée de sa substance et en ont fait un gadget, une sucette, leur sucette. Si le coup d’Etat du 22 Mars les a visiblement dérangés dans leur projet de festin ‘démocratique’, il n’a pour l’instant réglé aucun problème de fond sauf celui d’inscrire à l’ordre du jour leur surgissement sur la scène de l’histoire que la CEDEAO des Chefs d’Etat veut empêcher coûte que coûte. Le peuple malien aspire à saisir la chance historique qui lui a été offerte par ce coup d’Etat pour réaliser son destin en toute indépendance et en toute liberté. Il est condamné à l’assumer pour réinventer son avenir.

Pr Issa N’DIAYE

Bamako 29-04-12

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