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Philippe Migaux, auteur de « Al-Qaïda, sommes-nous menacés ? » : « La nouvelle stratégie des jihadistes au Nord Mali… »

mercredi 12 mars 2014, par Assane Koné

Philippe Migaux, auteur de Al-Qaïda, sommes-nous menacés ? publiéchez André Versaille éditeur, est l’Invité matin de RFI de ce 11 mars 2014. Une semaine après le raid militaire français dans l’Adrar des Ifoghas, il analyse la nouvelle stratégie des jihadistes au Nord Mali.

RFI : L’opération militaire française il y a une semaine est-ce la preuve que les jihadistes ont reconstitué leurs réseaux au nord du Mali ?

Philippe Migaux : Je dirais autrement. Je dirais qu’on assiste à un va-et-vient entre des gens qui ont maintenu une présence sur la zone, cachés en général auprès de populations qui leur sont favorables. C’est le cas, par exemple, du Mujao. Et puis on a des gens qui, aujourd’hui, s’enhardissent un peu plus pour revenir sur zone, à partir de leurs nouvelles bases au Fezzan en Libye. Plus discrètes, mais qui constituent toujours des lieux d’entraînement et de rassemblement.

Quelles sont aujourd’hui les principales mouvances jihadistes qui opèrent au nord du Mali ?

On en a globalement deux combattantes. On a d’abord Aqmi. Aqmi s’est réduit, Aqmi a reçu le premier choc des forces françaises. Aqmi dispose de quatre petites katibas en reconstruction et Aqmi n’a pas d’argent. De l’autre côté vous avez al-Mourabitoun qui est en train, je dirais, de l’emporter d’une certaine manière. Tout simplement parce que son fondateur, c’est Mokhtar Belmokhtar, l’historique du jihad au Mali. Même si une partie de son équipe le Mujao, a fait dissidence pour des raisons de partage du butin. Même si lui-même a été viré d’Aqmi en septembre 2012, cet individu a repris l’offensive. Il a créé en août dernier une organisation qui s’appelle al-Mourabitoun, c’est-à-dire les Almoravides, cette dynastie qui, à partir du Maroc, a conquis une grande partie du nord de l’Afrique entre le 10e et le 12e siècle, qui a infligé de sévères défaites à l’armée du roi de Castille pour protéger l’Andalousie quand l’Andalousie était musulmane. Et son objectif n’est pas moins que, en allégeance directe avec Al-Qaïda, il crée un nouveau jihad qui aille cette fois-ci de l’Atlantique jusqu’au Nil avec des alliances y compris en Egypte.

Y a-t-il des jihadistes qui font semblant d’être repentis et qui se cachent dans des mouvements plus présentables aujourd’hui ?

C’est évident ! On a des organisations aujourd’hui qui sont introduites dans le processus de négociations. Pour les Touaregs c’est le Haut Comité de l’Unicité de l’Azawad, le HCUA. Pour les Arabes c’est le MAA, le Mouvement des Arabes de l’Azawad. Et puis, on a toujours des tentations dans les milices Sangaï, dans les milices Peuls, avec des gens qui avaient traîné du côté d’Aqmi. Le problème c’est qu’il n’y a pas de contrôle de ces gens-là ! Et c’est malheureusement le cas avec l’enlèvement et l’assassinat de vos deux confrères Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Le problème c’est que l’auteur de l’enlèvement disposait d’un permis de circuler au nom du HCUA. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de contrôle de ces gens-là.

Quelles sont les connexions de ces mouvances avec les organisations jihadistes qui opèrent en Libye et en Egypte ?

Les al-Mourabitoun ont de l’argent. Le Mujao ce sont des trafiquants de hachisch traditionnels, ce sont des bérabiches au Mali. Ils ont de l’argent et ils attirent du monde. Ils ont surtout des liens avec des gens plus structurés. C’est le cas en particulier des gens de cette fameuse organisation égyptienne, Jamaat Ansar Beit al-Maqdis, ce groupe des partisans de la Maison sacrée en référence à Jérusalem. C’est plutôt des gens du Hamas. C’est des trafiquants d’armes bédouins ou des vétérans d’Afghanistan ou d’Irak. Et aujourd’hui, ils ont une emprise très violemment al-Qaïda, puisque ce sont eux qui ont fait l’attentat raté contre le ministre de l’Intérieur au Caire en septembre dernier, puis il y a quelques jours, l’attentat contre un bus transportant des touristes coréens, tuant trois d’entre eux à Charm-el-Cheikh. On est sur une vraie menace manipulée par les jihadistes d’al-Qaïda.

Est-ce que la Libye est devenue aujourd’hui le principal foyer jihadiste de la région ?

Oui. Je dirais qu’il y a plusieurs strates en Libye. Vous avez les anciens du groupe islamique combattant libyen. Vous avez aussi 600 à 800 Libyens de Cyrénaïque qui sont partis individuellement faire le jihad en Irak et sont revenus avec de l’expérience. Ils ont formé les gros bataillons. Puis vous avez tous les pommés de la Révolution qui sont contents d’avoir un discours jihadiste. Alors ces gens-là sont certainement derrière la mort de notre ingénieur la semaine dernière à Benghazi.

L’ingénieur français tué le 2 mars dernier à Benghazi ?

C’est cela. Patrick Real. Mais en même temps ces jihadistes sont limités parce qu’ils ne veulent pas aller à l’extérieur. Ils vivent sur les trafics et ils ont besoin de territoire. S’ils partaient, il est évident qu’ils ne pourraient pas retrouver automatiquement la place qu’ils occupaient avant, en se lançant dans une aventure qui s’avèrerait bien difficile, si les jihadistes libyens allaient affronter les forces françaises. Donc, on est sur un endroit qui est extrêmement dangereux. Tout simplement parce que c’est un état de non-droit et que de la Libye on va directement en Tunisie. Là, vous avez de vrais risques, même si la situation s’améliore. Vous avez un maquis dans le mont Chambi à la frontière avec l’Algérie, que les forces de sécurité tunisiennes n’arrivent pas à réduire depuis six mois. Et, à partir de ça, vous pouvez toujours envisager qu’al-Mourabitoun, spécialiste des grandes opérations – c’est lui qui a fait In Amenas, qui a fait les attentats d’Agadès et d’Arlit – fasse un coup d’éclat contre une compagnie pétrolière algérienne ayant des intérêts avec les sociétés occidentales.

Et puis, il y a la Syrie où opèrent plusieurs milliers de jihadistes étrangers, notamment français. Est-ce que ces gens-là peuvent demain participer au jihad africain ?

Oui, tout simplement parce qu’aujourd’hui la menace contre la France, c’est évident qu’entre al-Mourabitoun et Aqmi, celui qui frappe le premier la France, c’est celui qui gagnera la légitimité auprès d’al-Qaïda central. Alors, nous avons actuellement plus de 500 Français qui sont en Syrie dont 20% de convertis. Et une des craintes évidentes c’est qu’ils participent, non pas à un jihad en France, mais à un jihad local en Afrique. Parce qu’en Tunisie vous avez vu récemment qu’à Sousse il y a deux mois, un jihadiste tunisien a essayé de se faire sauter dans un hôtel de touristes. Il n’a pas réussi, il s’est fait sauter sur la plage, au moment où il a été interpellé. Si vous mettez un Français au milieu d’un groupe de touristes, il n’aura pas de difficultés à faire sauter le groupe de touristes ou à pénétrer dans une ambassade.

Source : rfi.fr

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